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fille ! Elle avait aussi de ces beautés qu’un heureux naturel rend plus touchantes ; elle était presque... il ne lui reste plus que ses vertus et l’attachement d’un cœur sur lequel elles n’ont pas été sans fruit. Chère cousine, je vous trouve encore plus adorable par vos bontés pour elle que par toutes celles dont vous m’avez comblé. Oh ! que n’étais-je à genoux entre vous deux, mouillant alternativement ses mains et les vôtres des plus délicieuses larmes que l’attendrissement puisse faire couler ! Vous m’aviez dit, chère amie, qu’on ne l’avait pu trouver à Nyon, et que l’année échue de sa pension lui avait été envoyée par la poste. Cela m’avait mis en quelque peine sur le sort de cet envoi. Vous m’auriez fait plaisir de me donner quelque éclaircissement sur ce point, afin que, s’il y avait fallu suppléer par ce qui restait encore, je songeasse de bonne heure à remplacer celui de l’année prochaine. Car quoique j’aie fait à ma tante cette petite pension dans un moment d’abondance qui n’a pas été long et que je ne fusse guère en état de la lui faire en ce moment, si la chose était à faire, je suis pourtant bien déterminé, puisqu’elle l’a, à ne la lui jamais ôter, quoi qu’il arrive, durant sa vie ou la mienne. Qu’elle en ait besoin ou non, peu importe ; il me suffit d’être sûr que cette perte l’affligerait.

Eh quoi ! chère cousine, encore cette pension du Roi d’Angleterre ! Je croyais qu’il n’en était plus question depuis longtemps. Lorsque j’y renonçai, j’eus tort peut-être, mais après avoir réparé ce tort, je pouvais m’attendre que cette réparation serait agréée et que j’en serais instruit. Cela n’est point arrivé ; mon parti est pris, comme vous savez, et je n’ai rien à écrire au général Conway.

Je présume que cette lettre, dont je charge messieurs vos frères, que j’ai le plaisir de voir ici, vous trouvera de retour à Lyon en bonne santé, au milieu des objets chéris qui vous y rappelaient, et dont vous allez bientôt augmenter le nombre. Jouissez, chère amie, de tout ce qui peut donner ici-bas un prix à la vie, et plaignez ceux qui, faits pour le goûter ainsi que vous, n’ont pas eu le même bonheur. Adieu, je vous quitte à regret et nous vous embrassons l’un et l’autre de tout notre cœur. Ma lettre a tardé longtemps, et dans l’intervalle j’ai eu le plaisir d’apprendre quelquefois de vos bonnes nouvelles, dont je me réjouis.


JEAN-JACQUES ROUSSEAU.