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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/50

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Ceux qui restent s’harmonisent d’autant plus facilement au nouveau milieu qu’il ne leur offre pas de résistance. Il n’a pas ces contours arrêtés, immuables, où s’affirme la physionomie d’une nation séculaire, intraitable sur ses traditions, ses souvenirs et ses habitudes. Une telle nation a beau être accueillante et hospitalière : elle reste impénétrable. L’immigrant aura toujours le sentiment d’être un étranger, chez des étrangers. Il pourra s’y plaire, aimer ses hôtes, devenir par la naturalisation leur compatriote : il restera distinct du type national auquel une assez longue évolution serait seule capable de le réduire. Rien de pareil aux États-Unis. De plus, ils sont trop jeunes pour avoir été mêlés au passé de l’Europe, trop loin pour avoir pesé sur ses destinées ; nous ne sommes séparés ni par des souvenirs gênans, ni par des exaspérations de voisinage. Enfin, l’assimilation est d’autant plus facile qu’elle se fait par le dehors, grâce aux nécessités d’une vie tout extérieure, réalisée dans ce déploiement d’énergie qui est le facteur essentiel de l’âme américaine et en commande toutes les modalités.


II

L’énergie physique de l’effort domine toute la psychologie de l’Américain. Pionniers et défricheurs des origines, trappeurs du Nord ou cow-boys des solitudes de l’Ouest, chercheurs d’or, prospecteurs, lanceurs d’affaires, ouvriers affamés, aventuriers en quête de leur « chance, » tous ne subsistent qu’à force d’énergie. Cette nécessité initiale n’a point changé : on la retrouve, à peine transposée, chez les rois de l’industrie, des chemins de fer ou de la finance. L’intensité de l’effort n’est pas moins grande pour se maintenir au faîte que pour y monter. Les romanciers d’aujourd’hui, Upton Sinclair, Frank Norris, A. H. Lewis, nous peignent en traits sévères cette fureur d’agir et de dominer, comme Bref Harte évoquait « sous une forme joyeuse les luttes des robustes individus « qui venaient tenter fortune aux eldorados californiens, « comme Fenimore Cooper avait décrit leurs efforts tragiques, le combat contre la nature vierge, la conquête de la forêt et de la prairie, la substitution de l’être fondateur et industrieux à l’Indien chasseur et instinctif[1]. » Sous l’influence

  1. Paul Adam, op. cit., p. 339.