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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/51

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de l’exemple, la contrainte des faits se transforme en résolution volontaire : les succès rapides engagent chacun à s’évertuer ; toutes les forces se tendent dans le même sens, et il se produit une émulation analogue à celle qui multiplia les vocations militaires autour des héros de la République et de l’Empire.

Placez une énergie exaltée devant un champ d’activité immense : elle brûlera d’entreprendre. L’initiative est un des traits constitutifs du caractère américain. Une de ses manifestations les plus curieuses est le peu de goût des Américains pour les carrières toutes faites, la tendance universelle à ne pas adopter de carrière du tout. Au lieu d’aspirer à « se caser, » chacun cherche la fortune et essaie tour à tour les situations les plus diverses. M. Jules Huret nous rapporte le cas d’un conducteur de train, Alsacien d’origine, mais déjà complètement américanisé, à la première génération. D’abord gérant d’hôtel, il avait fait des économies et allait devenir patron lui-même, quand il perdit son argent dans une mauvaise affaire. Il s’était alors engagé au service d’une compagnie de chemins de fer, parce qu’il avait ainsi l’occasion de rencontrer beaucoup de gens, et il attendait « sa chance, » dont il ne doutait pas. « Comparez l’allure et le langage de cet homme avec celui de son collègue français. L’un, qui ne se sent là que provisoirement, en attendant l’opportunity de se lancer dans les affaires et de faire fortune ; l’autre, content de son sort, ou du moins résigné, et dont le seul rêve est d’atteindre le moment de la retraite, une retraite misérable ! »

On comprend que de tels hommes ne reculent pas devant le risque. C’est une condition indispensable du succès. Elle n’effraie pas des gens dont toute la destinée est d’entreprendre, tout l’idéal de réussir, et que fascinent des exemples d’audace heureuse. Ce n’est pas assez de dire qu’ils n’en ont point peur : ils l’aiment. Le risque les passionne comme un jeu, les séduit comme une aventure. C’est leur façon à eux de livrer bataille et ils y apportent la même intrépidité que nous admirons dans d’autres combats. « L’Américain dédaigne la ruine comme le héros dédaigne la mort[1]. » Cette bravoure lui est naturelle ; il s’y complaît et la pousse jusqu’à la bravade. Un projet le tente s’il est un défi au sens commun, à la prudence et aux habitudes. C’est ce qu’il appelle fièrement une idée bien américaine. Le

  1. P. Adam.