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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/517

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À cette dépêche, lord Salisbury répondit également le 7 août, liant ainsi les deux négociations, dans les termes suivans :


Le sujet auquel se réfère M. Waddington fut traité plus d’une fois, dans les conversations très satisfaisantes que j’eus avec lui à Berlin… Le gouvernement de Sa Majesté a témoigné sa très vive satisfaction du succès des expériences tentées par la France en Algérie et de la grande œuvre de civilisation qu’elle accomplit en ce pays. Elle n’a jamais méconnu que la présence de la France sur cette côte, soutenue comme elle l’est par des forces militaires imposantes, doit avoir pour effet de lui donner, quand elle le jugera convenable, le pouvoir d’exercer une pression avec une force décisive sur le gouvernement de la Tunisie. C’est un résultat que le gouvernement britannique a depuis longtemps reconnu comme inévitable et qu’il a accepté sans répugnance.

L’Angleterre n’a pas en cette région d’intérêts spéciaux qui puissent l’amener à voir avec appréhension ou avec défiance légitime l’influence et l’expansion de la France. En ce qui concerne son événement qui peut être éloigné, je dirai donc seulement qu’il n’altérera pas l’attitude de l’Angleterre. Elle continuera de reconnaître, comme elle fait maintenant, les résultats naturels du voisinage d’un pays puissant et civilisé comme la France, et n’a pas à formuler de contre-réclamation…


Le Congrès de Berlin termina ses travaux le 13 juillet. Le 16 juillet, quand lord Beaconsfield rentra à Londres, il fut accueilli, sur le trajet de la gare de Charing-Cross à Downing street, par l’enthousiasme et les acclamations délirantes de la foule. Il dut se mettre au balcon, d’où il lança le fameux cri : « Nous rapportons la paix avec l’honneur ! » Ce fut, en effet, un grand jour pour ce peuple qui vit resplendir, sur le ciel déchiré de l’Europe, l’astre britannique à son apogée.

Le prince Gortschakoff, souffrant et qui n’avait pu assister au dîner de clôture du Congrès, fut reçu avec bienveillance par l’empereur Alexandre II, à Tsarskoié-Sélo, et la cour célébra, avec un empressement officiel, l’anniversaire de ses quatre-vingts ans. La lampe baissait, prête à s’éteindre.

La France se porta, avec son humeur légère, aux dernières fêtes de l’Exposition, non, toutefois, sans se préparer aux perspectives nouvelles de cet avenir colonial que le Congrès avait ouvert devant elle[1].

  1. Voyez, dans le Recueil des Discours de Gambetta, une « opinion » de l’homme d’État français sur le Congrès de Berlin, parue dans le Times. On peut la résumer en quelques mots : fin de la désunion des puissances en Europe ; fin de la triple alliance de 1873 ; rapprochement de la France et de l’Angleterre ; « une alliance franco-russe reposant sur l’arbitraire n’est pas possible… La France ne songe à rien qui puisse rendre ces alliances nécessaires ou désirables. » Il faut interpréter cum grano salis. Au moment où l’on abordait la politique coloniale, il fallait ménager l’Angleterre et ce n’était pas le Times que l’on eût pris pour confident d’un rapprochement franco-russe. On en parlait, — pour le nier, il est vrai, — mais c’était déjà beaucoup.