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efforts personnels, en recherches du vrai, en souci d’observation, s’est répandue en Russie où elle a la vaste clientèle de tous les esprits cultivés. Notre littérature dramatique, en particulier, est l’aliment ordinaire non seulement du théâtre Michel qui lui est réservé, mais, on peut le dire sans exagérer, de la majorité des théâtres russes qui jouent des traductions de nos pièces. Dans les arts plastiques, la pénétration réciproque se fait peu à peu. Pour la musique enfin, les faits sont d’hier. Les concerts nous avaient donné souvent à admirer des fragmens de grands compositeurs russes, Moussorgski, Rimsky-Korsakow, Balakirew : au printemps dernier, une troupe russe a représenté le chef-d’œuvre du premier, Boris Godounov, avec un succès qui a aussitôt décidé les directeurs de l’Opéra à le monter eux-mêmes en français. Certes, avec l’Allemagne, l’Italie, l’Angleterre, nos échanges intellectuels sont actifs : ils ne le sont pas plus qu’avec la Russie, dont aussi bien la richesse de production et l’inlassable curiosité suffiraient à expliquer notre attrait vers elle et son attrait vers nous.

Or, avec ce pays qui produit si activement, qui consomme si avidement, qui est notre ami et notre allié, la France est exactement, pour le respect du droit des auteurs, comme si elle l’ignorait, comme si elle lui était inconnue, et bien plus, comme si un sentiment d’animosité réciproque les portait tous les deux à se piller leurs œuvres. Il n’existe pas en effet de traité qui garantisse aux Français en Russie, ni aux Russes en France la propriété de leurs œuvres. La Russie, d’autre part, n’a pas adhéré, on l’a vu, à la Convention de Berne. La liberté est donc complète pour la guerre la plus hardie et la plus désastreuse.

Ceci est fort étonnant. Cette guerre, il convient de le dire, a été jusqu’ici désastreuse surtout pour nous. Nos œuvres littéraires, romans ou autres, sont traduites ou copiées librement. Nos œuvres dramatiques le sont aussi, et elles sont jouées partout sans que jamais une redevance puisse être perçue. Au contraire, les auteurs russes peuvent profiter de la Convention de Berne ; ils n’ont qu’à publier leurs œuvres dans un pays de l’Union, l’Allemagne par exemple, un jour ou deux avant qu’elles ne paraissent en Russie ; ces œuvres ont ainsi pour pays d’origine un des États de l’Union, et, suivant l’article 2 de la Convention, elles sont protégées dans tous ces États. Quant aux œuvres de littérature dramatique, elles n’avaient pas à craindre