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Elle sursauta.

— Comment ? Le jeune prince ? C’est l’aîné de la famille, n’est-ce pas ? Il sera duc de Sestre ?

— Parfaitement.

— Et vous croyez ?...

— Je le crois sincèrement épris de la charmante Catherine, et je ne vois aucune difficulté à obtenir le consentement de ses parens.

Elle le regardait toujours d’un œil ébloui.

— Mais c’est ce qui s’appelle vraiment un grand mariage ! dit-elle. Et c’est un brave garçon, n’est-ce pas ?

— Ce n’est pas un génie ; mais je crois qu’il sera un mari modèle, auquel vous pourrez confier votre protégée sans crainte.

Miss Lambart parut réfléchir profondément ; puis elle se leva en soupirant et fit quelques pas dans le petit salon.

— Qu’avez-vous, chère camarade ? demanda le jeune homme, en renversant la tête contre le dos de son fauteuil, afin de suivre des yeux les mouvemens souples et gracieux de la jeune fille.

Elle revint vers lui, et s’appuya contre la cheminée.

— J’ai... j’ai, que je pense une fois de plus au pouvoir effrayant de l’argent. Réflexion frappante, n’est-ce pas ? Mais enfin, quand je songe à cette petite, qui a bon cœur, j’en conviens, mais qui n’a en somme ni beauté, ni esprit, ni imagination, ni charme, et qui, malgré cela, n’a qu’à étendre sa main, — cette grosse patte rouge et épaisse ! — pour cueillir un beau nom, une belle situation, et le cœur d’un honnête garçon !

Le Fanois la fixait toujours, avec cette lueur indéfinissable qui lui venait quelquefois aux yeux en la regardant.

— Tandis que vous, ma pauvre amie, qui avez tout cela...

— Ah ! taisez-vous ! interrompit-elle.

Une vive rougeur lui monta jusqu’aux tempes, et elle alla brusquement reprendre sa place derrière la table à thé.

Le Fanois haussa les épaules.

— Je croyais que nous avions notre franc parler.

Elle eut un sourire plein d’amertume :

— Eh bien, oui, soit ! Je suis lasse, lasse. J’ai trop vécu parmi les riches et les heureux, j’ai le besoin du luxe dans le sang... Et dire qu’il faudra recommencer, lutter encore ! Catherine une fois mariée, Mrs Smithers rentrera probablement en Amérique pour faire la conquête de New-York. Sinon, la situation