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changer de demeure et de se transporter aux Tuileries. Le prince s’y est refusé en disant que c’est un palais qui porte malheur, comme si celui qu’il habite avait été heureux pour son père. La vérité est qu’il craint de se soustraire à la populace et qu’il n’ose pas risquer d’en encourir le blâme. »

Cependant ces faiblesses de Louis-Philippe ne sauraient effacer deux faits incontestables : le premier, qu’il est roi des Français ; le second, qu’il désire en toute sincérité mériter la confiance de l’Empereur. C’est avec ce cæterum censeo que Pozzo di Borgo terminait tous ses rapports pendant ce premier mois d’existence de la monarchie de Juillet et avant qu’il fût en possession des instructions de son gouvernement. Ces instructions arrivèrent enfin ! Elles portaient la date du 4/16 août et, à la fin du mois, elles se trouvaient entre les mains de Pozzo di Borgo, qui les attendait avec une fiévreuse impatience. Leur lecture fut pour lui une cause de profonde déception. Il comprit aussitôt que leur exacte exécution amènerait infailliblement une rupture entre la Russie et la France. Et tous ses efforts visaient à prévenir ce malheur.

Voici ce qu’écrivait le comte Nesselrode, par ordre suprême : « Je n’ai pas besoin de dire à Votre Excellence combien l’Empereur a été profondément affecté par ces déplorables événemens… Votre Excellence jugera elle-même combien il doit nous importer d’être informés le plus régulièrement et le plus promptement possible de tout ce qui a rapport aux événemens dont la France est devenue le théâtre. Au reste, depuis l’invasion de Bonaparte en 1815, il ne s’est peut-être pas présenté de circonstance où le service de l’Empereur ait eu plus besoin de votre zèle éclairé et de votre sagacité. »

Si les dépêches du vice-chancelier s’étaient bornées à ces considérations générales sur les « événemens déplorables » survenus en France, le comte Pozzo di Borgo n’aurait pas eu lieu de s’alarmer. Mais ce même courrier diplomatique lui remit une autre dépêche, datée également du 4/16 août, qui lui prescrivait catégoriquement d’éloigner du territoire français tous les sujets russes ! Cet ordre, dont l’exécution était impossible, était conçu dans les termes suivans : « L’Empereur ayant jugé que, vu les événemens qui ont éclaté en France, aucun de ses sujets ne devrait y prolonger son séjour, m’ordonne d’inviter Votre Excellence à vouloir bien notifier à tous les sujets russes,