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caractère, démocrate par goût, entouré de son ministère, où Laffitte et Dupont de l’Eure dominent, passe du Conseil aux scènes populaires et se constitue l’esclave des caprices et des exigences du parti, qui l’a pris plus comme instrument que comme chef véritable. » Voilà pour le Roi ; pour ce qui est du pays, d’après les assurances de l’ambassadeur, l’anarchie y règne : les soldats chassent les officiers, les départemens les préfets, et on proclame le principe que les soldats ne doivent pas tirer sur le peuple. Toutefois cette anarchie n’a nullement empêché le gouvernement de Louis-Philippe de prendre racine et de s’affermir de plus en plus. Ainsi vient-il de nommer à Londres, en qualité d’ambassadeur, le célèbre prince de Talleyrand que Pozzo di Borgo qualifie de « méchant et vilain homme, » tout prêt, dans ce nouveau poste, à se livrer à toute espèce de menées. A la suite de cette nomination, le gouvernement français fit connaître à l’ambassadeur de Russie son intention de nommer le comte de Flahaut à Saint-Pétersbourg. Mais Pozzo déclina catégoriquement ce choix, déclarant que c’était une trop « mince existence. » Il signala le maréchal Mortier comme un candidat plus sympathique au gouvernement russe. Il est curieux que Pozzo di Borgo ait assumé la responsabilité de ce choix, quand il n’était pas sûr de rester lui-même à Paris, et qu’il ignorait encore l’impression qu’avait pu produire à Saint-Pétersbourg sa désobéissance flagrante aux instructions qu’il avait reçues. Cette attitude décidée a d’autant plus lieu de surprendre, que l’influence de la révolution de Juillet s’était déjà manifestée dans plusieurs pays de l’Europe Occidentale. Pozzo di Borgo ne devait guère se méprendre sur la nature de l’impression que l’empereur Nicolas ressentirait de ces troubles.

La révolution de Belgique en particulier, qui amena l’expulsion du roi des Pays-Bas, Guillaume II, beau-frère de l’Empereur, devait soulever la colère et l’indignation de celui-ci. Pozzo di Borgo était convaincu lui-même que cette révolution était l’œuvre des anarchistes français. Dans tous les cas, le gouvernement français, loin de dissimuler ses sympathies pour les insurgés belges, déclarait sans détour qu’il s’opposerait à toute intervention étrangère dans les affaires de Belgique. « Pour écarter cette intervention, » écrivait Pozzo di Borgo le 3/20 septembre 1830, « le nouveau gouvernement français met en. avant un principe, lequel, s’il venait à triompher, ôterait à