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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/80

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commence à paraître, elle n’excite encore aucune convoitise, aucune animosité ; elle se montre d’ailleurs soucieuse du bien public, animée de civisme, prête aux œuvres de solidarité. On nous parle aussi d’une aristocratie intellectuelle de l’Est, qui opposerait volontiers ses raffinemens et sa culture à l’esprit positif, brutal même, des hommes d’affaires et d’argent. Ce n’est pas celle-ci non plus qui pourra porter ombrage à une démocratie où chacun cherche à s’élever et à prendre sa part des bénéfices de la science.

Il ne paraît donc pas téméraire d’affirmer que la question sociale ne se pose point aux Etats-Unis. Des esprits pressés en rêvent déjà la solution et annoncent le collectivisme. « La nationalisation des propriétés accaparées par les trusts ne lésera plus qu’un nombre infime de propriétaires. Les voies sont beaucoup plus ouvertes au collectivisme dans les Etats-Unis qu’en France. »[1] L’accaparement est, en effet, un problème, qui agite l’opinion et préoccupe les pouvoirs publics. On n’a pas oublié la sensationnelle intervention du président Roosevelt contre les compagnies de chemin de fer et la Standard Oil Company. Mais le remède tuerait le malade plutôt que la maladie, s’il était à ce point contraire à son tempérament et aux conditions de sa vie. La plupart des observateurs inclinent au contraire à croire, avec plus de vraisemblance, que dans ce pays d’initiative, d’entreprise et de risque, la législation ne pourra et ne devra intervenir que pour limiter l’action individuelle de quelques-uns afin de la maintenir chez tous et se bornera ainsi à réduire la puissance menaçante d’une oligarchie.

C’est alors un autre problème qui se pose, politique, celui-là : l’extension des pouvoirs de l’Etat. Par ses origines mêmes, l’Etat est très faible dans la grande république américaine. Dépourvu de tout ce qui fit chez nous son prestige, dans un pays où il n’eut à se poser ni en soldat, ni en justicier, ni en créateur laborieux de l’ordre, ni en dispensateur circonspect du droit commun, désœuvré, au contraire, pour ainsi dire, « exempté, par la force ou la facilité des choses, de toutes ces tâches, devancé et suppléé dans ses lois par les mœurs, précédé dans le monde des faits par la liberté et légalité et acceptant sans effort ce qu’on pourrait appeler leur droit d’aînesse, » il laissa de tout

  1. Urbain Gohier, op. cit., p 88.