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qu’autant que cela sera nécessaire pour faire comprendre l’état d’âme de Moreau, au cours des événemens qui ont pesé sur les dernières années de sa vie et pour mettre en lumière les mobiles de sa conduite en 1813. À cette date fatale pour lui, nous aurons trop de motifs de déplorer son aveuglement pour ne pas insister, dès le début de ce travail, sur les causes qui ont peu à peu débilité sa conscience au point de lui faire perdre de vue ce que commande le devoir et de le laisser convaincu, au moment où il meurt, qu’il n’y a pas manqué en mettant ses talens militaires au service des puissances qui marchaient contre sa patrie.

Ces causes sont éclatantes, et il est d’une inqualifiable injustice que, sauf de rares exceptions, les historiens qui se sont occupés de Moreau, ne lui en aient pas tenu plus de compte[1]. Elles permettent d’affirmer qu’il n’a pas été le seul artisan de sa chute, que Bonaparte y a eu volontairement la plus large part, et qu’en ces circonstances douloureuses, le futur empereur, qu’on voudrait y voir déployer plus de reconnaissance et de magnanimité, s’est surtout inspiré du désir d’abaisser un homme qui lui portait ombrage et peut-être de se débarrasser d’un rival. « S’il avait l’esprit capable de tout comprendre, écrit de lui le chancelier Pasquier, il n’avait pas dans le cœur ce qui éclaire l’esprit sur l’avantage des résolutions généreuses. » De là, les indignes traitemens dont, en dépit de ses protestations d’innocence que ne dément aucune preuve, Moreau est l’objet, dès qu’il est soupçonné d’avoir trempé dans les machinations criminelles de Cadoudal ; de là aussi le ressentiment qui s’empare de lui, lorsqu’il se voit brutalement emprisonné, porté sur « la liste des brigands » que le gouvernement consulaire fait publier, et enfin condamné et proscrit.


Il ne peut pas ne pas se souvenir alors des services qu’il a rendus à son pays. N’est-il pas l’organisateur de la fameuse retraite de 1796, une des plus admirables dont fasse mention l’histoire des guerres ? N’a-t-il pas avec un entier désintéressement secondé Pichegru en Hollande, réparé les fautes de Scherer en Italie,

  1. Dans les pages-de son Histoire du Consulat et de l’Empire qu’il a consacrées à la conspiration de Georges, Thiers s’en réfère uniquement, en ce qui touche Moreau, aux dires de Bonaparte et de la police, aux débats du procès tels qu’ils ont été imprimés. Les explications de l’accusé ne comptent pas pour lui. Il l’a voulu coupable et, dans son récit, incomplet et inexact en plus d’un point, tout est combiné pour le présenter comme tel. Il a été plus juste envers lui, en parlant de sa mort.