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couronnée par la bataille de Hohenlinden, son principal titre de gloire. Il jugeait que le souvenir en était trop récent pour qu’il eût besoin de le rappeler à ses défenseurs. Le dernier mot de cette longue lettre est un cri de son cœur, un témoignage de tendresse pour sa femme et son fils qu’il lui avait été permis d’embrasser. « Mille pardons, ma chère amie, si je ne t’ai pas encore parlé du plaisir de te revoir et de celui que j’ai éprouvé en voyant le pauvre petit Eugène. Mais tu m’as demandé tant de choses que je ne me suis occupé que de cela… Adieu, un million de baisers. Mes excuses à ta maman si je ne lui réponds point. Je t’embrasse. Bien des choses à nos amis. »

C’est sans doute après l’effort de mémoire et de plume que lui avait coûté le récit qui précède qu’il écrivait encore :

« Après le travail d’hier, tu dois croire, ma bien chère amie, que j’ai eu bien peu de temps pour t’écrire. Cependant, je ne veux laisser aucune occasion de te donner de mes nouvelles et de te dire combien je t’aime.

« Je suis d’autant plus aise de la sortie de P. Marie[1]que, comme tu le dis, elle annonce que l’opinion change à mon égard sur toute cette affaire. Tu m’apprendras sans doute aussi la sortie de mes autres aides de camp, car leur détention est bien injuste. Il est affreux de se trouver dans la position de voir tous ceux qui ont pour nous quelque affection ou liaison, exposés à des persécutions journalières. Il faut fuir : c’est le seul remède à de pareilles choses.

« Adieu, ma chère amie ; je ne crois pas avoir le temps de t’en dire davantage : cependant je ferai en sorte de finir l’autre côté. Bien des choses à ta maman, à mon frère et à tous nos amis. Embrasse pour moi Eugène ; tâche de me l’envoyer. Pour toi, rien ne peut augmenter l’attachement que je t’ai voué, et il n’est pas d’expressions assez fortes pour t’en convaincre. Adieu.

« Avant de cacheter cette lettre, je profite encore d’un petit moment pour te dire combien je t’aime. J’ai appris ici que Lajolais, depuis que les prisonniers peuvent se promener, avait intrigué un peu contre moi ; mais il a été repoussé vertement. Il a dit à quelqu’un qui lui reprochait la fausseté de ses dépositions, qu’il avait été tellement tourmenté qu’il n’avait pu faire

  1. Un de ses aides de camp, Paul Marie, engage volontaire en 1800, devenu rapidement officier et qui fut plus tard général de division. Le général Marie fut nommé pair de France en 1846. Il mourut en 1852 à soixante-dix ans.