autrement, et puis, ma foi, qu’il tâchait de se tirer le mieux qu’il lui était possible. Nul doute que ce ne sont toutes les menaces et toutes les promesses de la police qui ont fait de ces gens des menteurs et des délateurs. Adieu : un million de baisers. »
L’absence de dates nous oblige à classer un peu au hasard les lettres qui suivent. Mais cette circonstance n’en affaiblit pas l’intérêt alors qu’elles sont toutes animées du même esprit et prouvent que si Moreau est indigné des traitemens iniques dont il est la victime, il ne renonce pas à l’espoir de prouver la fausseté des accusations portées contre lui.
« Lundi. — Il est probable, ma bien chère amie, que je te verrai. Ce matin on m’a fait comparaître pour faire le choix d’un défenseur ; j’ai répondu que, depuis trois mois qu’on m’a interdit toute communication avec ma famille, j’ignorais quels moyens elle avait pris pour pourvoir à ma défense, que je ne voulais pas contrarier son choix, d’autant que, n’ayant jamais eu d’affaire contentieuse, je ne connaissais personne au Palais. On m’a dit qu’on allait envoyer chez toi pour savoir quel choix tu avais fait et que j’y ajouterais foi quand je le verrais écrit de ta main. J’ai répondu que j’étais trop intéressé pour que tu te permettes de le faire sans me consulter et qu’il serait inouï qu’on m’interdise le droit de me consulter avec toi en présence de qui on voudrait, pour pourvoir à ma défense. On m’a dit qu’on verrait cela, qu’il n’y avait qu’à suspendre un moment, et qu’on me donnerait réponse. Voilà où nous en sommes. Si la réponse vient avant que je fasse partir ceci, je te la ferai connaître : sinon, je tâcherai toujours de t’en donner avis. »
« Samedi. — Je te remercie bien, ma chère amie, de ta lettre d’aujourd’hui ainsi que ta maman ; la sienne m’a fait plaisir ; la tienne, au contraire, m’a affecté par la crainte où je suis que toutes les vexations dont je suis l’objet ne prennent sur ta santé. Ton courage, ma chère Eugénie, m’a tout fait supporter : conserve-le jusqu’à la fin ; elle ne peut être éloignée. On me notifie aujourd’hui mon mandat d’arrêt ; j’y suis qualifié « accusé de conspiration tendant à occasionner la guerre civile et à armer les citoyens les uns contre les autres et contre l’exercice de l’autorité légitime : délit prévu par l’article 672 de la loi du 3 brumaire an IV. »