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« J’ai appris qu’on va prendre des précautions pour empêcher toute communication entre les détenus qui ont reçu leur mandat d’arrêt : cela sera gênant pour sortir dans le jardin ; mais j’espère que j’obtiendrai toujours environ deux heures, et c’est tout ce qu’il me faut.

« J’ai été étonné que le mandat d’arrêt ne soit pas qualifié comme la première explosion « d’attentat à la vie du Premier Consul. » Il paraît que les charges n’ont rien appris là-dessus et que, maintenant, il est question de « guerre civile et d’avoir voulu armer les citoyens les uns contre les autres. » Si j’avais voulu conspirer, je n’avais pas besoin d’armer personne ; j’en avais à ma suite cent mille qui étaient bien armés et qui savaient s’en servir. Tout cela n’est que ridicule. Tu seras sans doute étonnée de savoir David en accusation : il y a longtemps qu’il est au Temple, et je ne sache pas qu’il ait pu armer d’autres que les prisonniers et les guichetiers. Je suis obligé de m’interrompre ; je reprendrai ce soir. »


« Dimanche. — J’espère que ma lettre sera chez toi à huit ou neuf heures. Un million de baisers. Je ne crois pas non plus t’avoir dit qu’on a été fouiller dans les archives du Directoire pour y prendre des lettres que j’ai écrites dans l’an VI et VII[1], et qu’on veut rechercher ma conduite depuis ce temps. Il est certain que, depuis, j’ai conspiré contre les Autrichiens et leur ai gagné une cinquantaine de batailles ou combats ; il est certain encore qu’il m’est arrivé de conspirer une seule fois contre l’autorité légitime, au 18 brumaire an VIII, quand j’ai contribué à mettre Bonaparte où il est. Du reste, je pense, comme toi et tu maman, qu’il faut que la défense soit ferme, mais honnête

« Adieu, ma chère Eugénie. Il est trois heures et demie : tu n’es pas encore venue : aussi ce sera pour demain. Il est au moins heureux, puisqu’on n’a pas voulu nous permettre de nous embrasser, qu’on n’ait pu nous empêcher de nous voir. Embrasse tout le monde à la maison pour moi, et surtout le pauvre Eugène. Ne m’oublie pas auprès de nos amis. Je crois qu’il ne sera pas inutile de penser à nous débarrasser de Grosbois et de notre maison de la rue d’Anjou : il faut fuir. Un million de baisers. »

  1. Il s’agit ici des lettres qu’écrivit Moreau, au moment du 18 fructidor, pour dénoncer Pichegru. Voyez notre livre sur La Conjuration de Pichegru.