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complices, il y a près de deux mois que Pichegru s’est suicidé. Mais il est mort sans avoir accusé Moreau ; au cours de ses interrogatoires, il a nié toute entente criminelle avec lui. Telle est aussi l’attitude de Cadoudal à l’instruction et pendant les débats publics. Bouvet de Lozier lui-même s’est rétracté. Moreau ne trouve devant lui que deux accusateurs : Lajolais et Rolland, et encore leurs dires sont-ils contradictoires. Ils ont suffi cependant, malgré l’indignité des deux personnages, pour servir de base à l’accusation portée contre le général, d’avoir connu le complot et de ne l’avoir pas dénoncé ; d’y avoir participé en s’alliant à l’un des chefs qu’il avait autrefois signalé comme un traître, en conférant trois fois avec lui, et d’avoir excité les conjurés à renverser le gouvernement consulaire dans le dessein de s’emparer de la dictature à l’aide des partisans qu’il compte dans le Sénat et dans l’armée. C’est en ces divers points que s’engagent à l’audience des discussions entre le président et lui d’une part et, d’autre part, entre lui et ses deux accusateurs.

Avec une énergie et une éloquence qui lui valent parfois des applaudissemens[1]et qui font même dire que s’il le voulait, « il irait coucher aux Tuileries, » il maintient les réponses qu’il a faites au juge instructeur. Il n’a pas dénoncé Pichegru pour ne pas se déshonorer ; il ne s’est entretenu avec lui que des moyens de le faire rentrer ; il ne l’a pas vu trois fois, mais deux seulement ; il oppose enfin un démenti formel aux propos que lui prêtent Rolland et Lajolais en rétablissant ceux qu’il leur a tenus et qui n’avaient rien de subversif.

« Si c’est conspirer que d’avoir vu Pichegru, s’écrie-t-il[2], j’ai conspiré. On prétend que je l’ai vu mystérieusement. Si c’est un crime, c’en est assez pour le prouver et je n’ai aucun intérêt à nier la troisième après être convenu des deux autres. J’ai correspondu avec lui par l’intermédiaire de David et de Lajolais, et ma correspondance a eu pour objet de le retirer

  1. « Il fallut des mesures de police très énergiques pour empêcher, dans l’enceinte du tribunal et dans ses abords, une explosion de sentimens très favorables à certains accusés, à Moreau surtout. » (Mémoires du chancelier Pasquier.)
  2. Les réponses de Moreau, telles qu’elles sont reproduites dans le compte rendu officiel des débats, imprimé avec l’autorisation du gouvernement, n’affectent pas le caractère de véhémence et de « tout d’un trait » de cette protestation indiquée par des notes d’avocats comme ayant été prononcée à l’audience du 10 prairial, telle que nous la donnons. C’est une preuve de plus que les débats ont été arrangés après coup en vue de l’impression.