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qui en boivent. Toutefois, pour que le Saint-Graal conserve ses vertus, il faut que la colombe du Saint-Esprit descende sur lui tous les ans et lui infuse à nouveau la force de l’irradiation céleste en planant sur la coupe. Ce symbole est une évidente transformation du sacrement de l’eucharistie qui forme le cœur du culte chrétien. Mais remarquons ce qui distingue le sacrement du Graal du sacrement romain et canonique, car cette distinction constitue la différence radicale entre la vérité selon la doctrine ésotérique et la vérité selon l’Église, entre la religion des initiés et la religion populaire. Les chevaliers de Montsalvat ne trouvent la montagne et n’entrent dans le sanctuaire qu’après mainte épreuve et de prodigieux efforts. De plus, les vertus merveilleuses du Graal (lisez : de la science secrète) ne durent que si la colombe céleste (symbole de l’inspiration) descend tous les ans sur la coupe pour la féconder à nouveau. Dans le sacrement conféré par l’Église, le salut est une chose extérieure et résulte d’un fait matériel. Pour l’obtenir, la foi aveugle au dogme et la soumission absolue à l’Église suffisent. Pour les chevaliers de Montsalvat, au contraire, le salut est le fruit d’une conquête. La grâce ne répond qu’à l’effort. La foi devient la connaissance, une vue directe de la vérité. Et cette vérité n’est pas un dogme imposé du dehors, c’est une initiation, c’est-à-dire une révélation intérieure et individuelle. Mais si éclatante et si forte est cette vérité de l’âme, qu’elle unit ceux qui l’ont une fois perçue d’un lien indissoluble et les consacre frères et combattans pour la même cause.

Les historiens littéraires n’ont aperçu jusqu’à ce jour dans le Saint-Graal qu’un jeu d’imagination ou une glorification de la doctrine catholique. On voit à quel point son sens profond éclaire sa signification historique et grandit son importance. La légende du Saint-Graal ne signifie rien moins qu’un retour à l’idée grandiose et féconde de l’initiation, qui implique la révélation continue dans l’humanité par une élite. Cette idée, qui formait la base des mystères antiques, subsista dans les premières communautés chrétiennes jusqu’à la fin du IIIe siècle. Elle disparut totalement de l’Église, elle fut même honnie, comprimée et persécutée sous toutes ses formes à partir de saint Augustin. Pourquoi ? Parce qu’à l’initiation et à la révélation personnelle saint Augustin substitua la foi aveugle et l’autorité absolue de l’Église.