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La rentrée de l’idée ésotérique dans le monde occidental, voilà ce que signifie la légende du Saint-Graal. Les créateurs du symbole en connurent certainement le sens et le lancèrent dans le monde pour propager l’idée. Ceux qui le reçurent et le développèrent, les trouvères français et les Minnesinger allemands, les Chrestien de Troye et les Wolfram d’Eschenbach n’en eurent peut-être qu’une conscience vague. Mais c’est la vertu en quelque sorte magique des symboles bien faits d’agir sur les âmes par la puissance génératrice de l’image, sans que l’idée qu’elle revêt soit énoncée.

La légende de Lohengrin, qui se rattache à celle du Saint-Graal, remonte au XIVe siècle. Elle naît à l’époque où l’esprit individualiste s’éveille en Occident par le mouvement des villes libres. On y trouve une nouvelle traduction de l’idée ésotérique par la poésie, traduction déjà plus humaine et plus voisine de la compréhension générale par son côté sentimental et pathétique. On racontait que, dans un pays limitrophe des mers du Nord, une fille de roi avait été injustement accusée d’un crime et devait, pour cette raison, être dépossédée de son royaume. Un chevalier inconnu arrive sur une barque traînée par un cygne. Il se porte comme défenseur de l’accusée et prouve son innocence en terrassant l’accusateur en un combat singulier, puis il épouse la princesse qu’il a délivrée et gouverne son royaume. Toutefois l’étranger a mis une condition à ce mariage, c’est que jamais sa femme ne lui demandera son origine et son nom. Elle le promet ; mais bientôt, poussée par une invincible curiosité, elle enfreint sa promesse et le commandement de son époux. Alors le sauveur inconnu dit adieu à sa femme et part comme il était venu. Il remonte sur sa nacelle traînée d’un cygne et disparaît pour toujours sur les flots de la mer. Les chroniqueurs du XIVe siècle affirment que ce chevalier était un envoyé du Saint-Graal.

La mise en œuvre de cette légende par Wagner dans son Lohengrin est d’une intuition merveilleuse, car elle peut être considérée comme une représentation fidèle de la mission de l’initié dans le monde. Le sanctuaire n’apparaît que de loin, mais il est présent dans la personne du chevalier au cygne. La vérité sublime, dont le temple a la garde, se révèle ici par la grandeur de son envoyé, par le mystère qui l’enveloppe et par son action sur les âmes.