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animaux abattus et dépecés. Elles éludent de la sorte la principale difficulté de la boucherie, qui consiste à connaître les animaux, à les acheter en usant de toutes ces finesses que les gens du métier manient avec une persévérance inouïe sur les foires provinciales ; et elles n’ont pas besoin d’écuries pour recevoir et soigner le bétail. Mais, en diminuant le caractère aléatoire de l’entreprise, elles renoncent aux larges bénéfices qu’une administration très entendue aurait pu obtenir ; et elles reconnaissent implicitement la supériorité de ces intermédiaires qu’elles ont la prétention d’éliminer. J’ajoute que le rayon de la boucherie a toujours causé de gros soucis aux administrateurs ; que le débit en est incertain, et hors de proportion avec les frais qu’il occasionne.

Les sociétés que je viens de nommer, et quelques autres, comme la Prolétarienne, la Société du XVIIIe arrondissement, l’Union du XIXe, la Société de l’Est, vendent des vêtemens, des coiffures, des chaussures, des articles de ménage, du charbon de terre, des légumes et des fruits. Mais pour toutes, la base essentielle du commerce est l’épicerie ; et la vente des « liquides » est presque partout supérieure à celle de l’épicerie proprement dite. La consommation la plus régulière est celle du vin ordinaire, uniformément réparti au prix de trente centimes le litre[1]. Mais les liqueurs fournissent un appoint sérieux ; et sur le terrain neutre de l’alcoolisme, les coopérateurs bourgeois et socialistes semblent se rencontrer dans une parfaite communauté d’aspiration[2].

Les sociétés ouvrières, sans exception, ont installé des buvettes à côté de leurs magasins de vente ; la plus modeste tient à honneur d’avoir au moins un « zinc. » Partout, j’ai recueilli le même argument justificatif. Puisque l’ouvrier va au cabaret, mieux vaut encore que ce cabaret soit coopératif ; au moins, il y boira du vin naturel ; et d’ailleurs, les « camarades militans » ont à la buvette un lieu de réunion commode, où ils peuvent « échanger des idées. » En un mot, dans l’esprit des administrateurs ouvriers, la buvette est récréative, familiale,

  1. Les sociétés ouvrières achètent une grande partie de leurs vins aux Vignerons libres de Maraussan (Hérault), constitués en société coopérative « communiste, » et qui, grâce à cet important débouché, ont échappé à la crise de la viticulture.
  2. En Angleterre, les sociétés coopératives qui vendent des spiritueux sont en infime minorité.