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disponible pour l’examen du bilan. Mais c’est là l’accessoire : on ne peut pas tout faire. Les clameurs grandissent, les interpellations se croisent en tous sens ; c’est bientôt une véritable mousqueterie d’invectives qui crépite de toutes les parties de la salle à la fois. Il vient un moment où, lasse, énervée, la foule est incapable de suivre aucune affaire, si important qu’en soit l’objet, révision de statuts, emprunt ou construction d’un immeuble. L’heure du dîner est passée, les ménagères sont parties, des cris de protestation s’élèvent, impérieux et gouailleurs :

— A la soupe ! La clôture !

Et, comme une trombe irrésistible, sourde aux adjurations du bureau, cette foule s’écoule au dehors, inconsciente de la démoralisation qu’elle laisse après elle, parmi les coopérateurs clairvoyans et le personnel, ulcéré des humiliations subies. Asservis au devoir statutaire qu’ils n’avaient pas encore appris à éluder, les nouveaux sociétaires ont fait un triste apprentissage, qui enlève à la plupart d’entre eux le désir de reparaître dans ces mêlées puériles. D’exercice en exercice, l’Assemblée générale, rapidement renouvelée, se compose d’hommes perpétuellement naïfs et inexpérimentés ; de sorte qu’au-dessus du Conseil d’administration et de la commission de contrôle, pouvoirs éphémères et instables, ne domine que la souveraineté dérisoire d’une collectivité toujours mouvante.


Si les ouvriers se sont révélés administrateurs médiocres, ont-ils du moins, conséquens avec leurs principes, dans ces magasins où ils sont les maîtres, amorcé cette organisation du travail « juste et humaine » qu’ils attendent pour eux-mêmes du régime socialiste ? Ouvriers durant le jour, et patrons le soir, ont-ils su mettre leur conduite directoriale en harmonie avec leurs revendications prolétariennes ? Pas le moins du monde ; et le spectacle de leurs Assemblées générales suffit déjà à nous édifier.

Ni les coopératives parisiennes, ni celles de province, n’ont devancé la loi sur les accidens du travail, pas plus que celle du repos hebdomadaire : elles ont attendu très patiemment leur élaboration par les Chambres « bourgeoises, » et les ont plutôt appliquées de mauvaise grâce. A la Bellevilloise même, un ouvrier blessé à un doigt, avant le vote de la loi sur les accidens, dut