Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/926

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La coopération suivra sans doute le mouvement commun qui emportera les autres institutions sociales vers des destinées supérieures. Mais réalisera-t-elle les magnifiques espérances de ses apôtres ? Viendra-t-il un jour où elle sera définitivement victorieuse du commerce, d’abord universellement « distributrice, » plus tard souveraine productrice, plus tard encore la grande propriétaire de la richesse nationale ?

Je ne sais si une telle transformation est désirable. Mais sans prétendre assigner une borne précise à l’activité coopérative, on peut prédire que celle-ci sera limitée par le jeu même de ses propres organes.

La faiblesse originelle du capital n’a pas empêché de grandir certaines maisons privées. Beaucoup sont demeurées médiocres ; d’autres ont rencontré la ruine. Mais enfin, sous l’effet de l’âpre concurrence, servis par leur flair, leur habileté ou leur audace, quelques hommes ont élevé leur fortune.

À ces luttes tourmentées et tragiques de la vie commerciale, dont le consommateur distrait attend passivement ses destinées, la coopération prétend substituer un état de choses pacifique, où le consommateur deviendra le propre artisan de son « émancipation, » où ne seront plus gaspillées d’immenses forces vives, où il n’y aura ni vainqueurs, ni vaincus. Mais l’Association coopérative est condamnée à la prudence, et doit s’interdire les tentatives aventureuses. L’éclair d’une pensée audacieuse, traversant le cerveau d’un des « rois » de l’alimentation, illumine pour lui une voie nouvelle, sur laquelle il est le maître absolu de s’élancer immédiatement. Tout au contraire, privée des excitations violentes que produit le mirage entrevu de la fortune, l’administration d’une société coopérative ne connaît point ces désirs intenses, téméraires, où se mêlent l’attrait du jeu et l’acceptation du risque. Cela est un bien, peut-être. Mais lorsqu’elle veut se porter en avant, hors de la place où elle a longtemps piétiné, elle est alourdie dans sa marche par l’inertie des groupes inégalement entraînés, qu’il faut rallier sans cesse et dont il faut obtenir l’assentiment délibéré au début de chaque nouvelle étape.

Enfin, même dans l’ordonnance et le contrôle des services, dans le règlement des affaires courantes, n’étant sollicités ni par l’appât du gain, ni par celui de la popularité ; absorbés d’ailleurs par leurs occupations professionnelles, et trop certains