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en distribuant au-dessous de la ligne mélodique de véritables accens harmoniques sous forme d’accens altérés, de dissonances » et, comme dit Otto Jahn, d’ « accords pressés qui se succèdent presque sur chaque note nouvelle du chant. »

Jusque dans le chant même, « Rameau glisse des applications curieuses de ses idées théoriques. On y trouve, notamment, la démonstration pratique du principe qui subordonne la mélodie à l’harmonie, car de l’harmonie même le musicien extrait des figurations variées, des dessins mélodiques. Ainsi l’air des prêtresses de Diane, d’Hippolyte, se construit au moyen de réalisations mélodiques d’accords. Il y a plus : l’harmonie, selon la modalité qu’elle affecte, joue par cela seul un rôle expressif. Se resserre-t-elle, se ramasse-t-elle en accords verticaux, elle frappe alors nerveusement, dramatiquement. Réalisée, fleurie, elle se pare au contraire de toutes les grâces, obéit aux fantaisies les plus capricieuses. »

L’harmonie, encore et toujours l’harmonie. Le mot est partout, comme partout la chose. Autant que de la doctrine, l’harmonie est la base, et le centre, et le sommet de l’œuvre. Entre la théorie et la pratique de Rameau, voilà l’analogie ou la conformité profonde, et ce n’est pas un médiocre mérite d’avoir su nous la montrer, comme ici, plus prochaine et plus claire que jamais peut-être on ne nous l’avait fait voir.

Maintenant c’est assez, ou même trop parlé du savant. Il est temps devenir à l’artiste. Aussi bien il est venu lui-même assez tardivement à son art. « C’est aux approches de la quarantaine que Rameau arrive à se connaître. Il a d’abord passé de longues années à réfléchir sur la théorie, comme si cet esprit logique avant tout, et de la plus rigoureuse probité, n’eût rien osé entreprendre avant d’être en mesure de le justifier par raison et principes. »

Son renom scientifique l’avait non seulement précédé, mais, d’avance, compromis.

Dans une lettre au poète Houdar de la Motte, il se croit obligé de s’en défendre et, sans désavouer la science, de revendiquer au moins ce « goût, » sans lequel il proteste dès lors et soutiendra toujours que la science n’est rien. « Qui dit un savant musicien entend ordinairement par là un homme à qui rien n’échappe dans les différentes combinaisons des notes ; mais on le croit tellement absorbé dans ces combinaisons, qu’il y sacrifie tout, le bon sens, le sentiment, l’esprit et la raison. Or ce n’est là qu’un musicien de l’école ; école où il n’est question que de notes, et rien de plus. De sorte qu’on a raison de lui