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convictions religieuses, ce voisinage perpétuel n’aboutit qu’à les entretenir ou à les irriter. Le prétendu scepticisme des Levantins n’est que de surface. Quand un Français a vécu quelque temps dans ce milieu d’exaltation sournoise, il arrive que, lui aussi, est gagné par la contagion de l’exemple. De même qu’en Orient il se refait une âme monarchique, il s’y refait aussi une âme religieuse. On me citait le cas d’un ex-rédacteur de je ne sais plus quelle feuille socialiste, bombardé vice-consul de France dans une ville perdue de la Syrie. Au bout de trois mois, cet anticlérical farouche était le plus assidu aux offices des Capucins. Forcément, il avait dû se ranger avec ceux de sa nation, et, sinon par conscience, du moins par intérêt bien entendu, faire cause commune avec eux.


V. — LA BARBARIE COSMOPOLITE

Au fond, les antagonismes de religions se réduisent à des antagonismes de races : cette formule, qui est vraie partout, l’est surtout en Orient. C’est une chose prodigieuse que tant de races ennemies puissent y cohabiter sous la tutelle d’un gouvernement tyrannique et presque toujours partial. Mais ce qui est plus étonnant encore, c’est qu’elles paraissent se résigner non seulement à l’immixtion perpétuelle, mais à la domination plus ou moins déguisée de l’Européen, qui, pour elles toutes, est l’ennemi commun. Car il ne faudrait pas non plus nous illusionner sur les dispositions des Chrétiens orientaux à notre égard. Un jour que je reprochais à l’un d’eux son intempérante admiration pour le Mikado, son enthousiasme pour les victoires japonaises, il me répondit tout naturellement : « Eh bien, oui ! Nous autres Asiatiques, nous nous entendrons toujours mieux avec des Asiatiques, quels qu’ils soient, qu’avec des Européens de notre religion ! »

Et ainsi, après avoir exprimé notre opinion sur l’Orient et les Orientaux, nous voici amenés maintenant à nous demander ce qu’à leur tour ils pensent de nous. Nous nous posons rarement cette question, ou plutôt jamais, tant nous sommes accoutumés à tenir leurs sentimens pour négligeables. D’ailleurs, ne leur apportons-nous point, avec nos capitaux et notre activité, « les bienfaits de la civilisation ? » Ne répandons-nous point la