Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/201

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être ne fallait-il pas tant d’affaires pour en arriver à la simple constatation d’une vérité aussi banale, bien que la réalité ne soit pas toujours ce qu’on est persuadé qu’elle est, et qu’il soit bon de vérifier même les « vérités » banales) que, si l’on additionne ouvriers de l’industrie et ouvriers de l’agriculture, mâles et âgés de plus de vingt et un ans, c’est-à-dire, sauf accident, électoralement qualifiés, là est le nombre.

Réservons la question de savoir s’il est correct de les additionner ou si, dans bien des cas du moins, les intérêts des ouvriers agricoles, autant que leurs vues et leurs idées, ou leurs instincts et leurs tendances, ne diffèrent pas de ceux et de celles des ouvriers de l’industrie, au point même de s’y opposer. Il y a là-dessus un aphorisme célèbre de Karl Marx : « On peut dire que l’histoire économique de la société roule sur l’antithèse des villes et des campagnes. » Cela est-il vrai ? Cela est-il toujours vrai ? N’est-ce pas un peu moins vrai que jadis, et n’est-ce pas de moins en moins vrai ? Mais si c’était toujours aussi vrai, si, cette seconde position de la question étant la bonne, on devait renoncer à faire des uns et des autres une seule masse, et compter à part ceux-ci et ceux-là, il semble que, dès que rentreraient en ligne les travailleurs isolés, dont les rangs se grossiraient de minimes chefs d’établissement qui, eux aussi, ne sont, à tout prendre, que des travailleurs, les ouvriers agricoles l’emporteraient, et ce serait eux le plus grand nombre du nombre.

Mais le nombre en lui-même, à lui seul, le nombre pur, brut, « arithmétique, » n’est pas tout : c’est ici que, nécessairement, d’autres élémens interviennent, et, en premier lieu, un élément de fait des plus considérables. Certains ne manqueraient pas d’évoquer, à ce propos, « le prolétariat conscient et organisé, » différent de l’autre, opposé à l’autre, qui, suivant eux, ne serait ni « organisé, » ni « conscient. » Sans discuter pour le moment sur la propriété de ces épithètes, l’élément de fait est celui-ci : tandis que les ouvriers agricoles sont dispersés ou plutôt dispersés, les ouvriers de l’industrie, au contraire, sont concentrés ou plutôt concentrés, et par cette considération s’explique que, dans la statistique ci-devant rapportée, ils paraissent être d’un gros million plus nombreux, travailleurs isolés déduits, que les ouvriers agricoles. Tandis que les plus, grands groupemens d’ouvriers agricoles sont encore relativement faibles et d’ailleurs temporaires, les ouvriers de l’industrie demeurent