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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/398

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simplement indiquer une des causes qui peuvent produire cette différence de technique entre les poètes anglais et les poètes américains, en dépit des dons poétiques de ces derniers.

Il suffit également d’indiquer l’absence de formation musicale (peut-être même de tempérament). Enfin il n’y a pas en Amérique de goût général. Il est inutile et désobligeant d’insister sur cette chose évidente : le goût, le sentiment de la justesse, l’instinct infaillible, ne sont pas parmi les dons innés de l’Américain et n’éclatent pas dans ses productions. Quand il arrive aux raffinemens et à la délicatesse, c’est en général par le contact avec le Vieux Monde. Mais ce serait le rôle de la critique d’éveiller le goût public et d’en faire l’éducation : elle semble faillir à sa tâche. Il serait intéressant de suivre la critique américaine, depuis le temps où les critiques étaient rares et consciencieux comme les œuvres littéraires, — critique fine et forte avec Lowell, impitoyablement railleuse avec Edgar Poë, injuste et excessive parfois, et souvent mal avertie, mais indépendante et respectée à l’égal d’une mission, — jusqu’à l’époque actuelle où cette critique s’est multipliée et amollie avec le pullulement des revues et des magazines.

Il y a aujourd’hui aux États-Unis d’excellens critiques des œuvres du passé, de la littérature anglaise et américaine : M. E. G. Stedman par exemple, M. George Woodberry, M. Hamilton W. Mabie et M. van Dyke lui-même, qui est un critique très pénétrant. Mais la critique étudiant au jour le jour les œuvres des écrivains vivans n’existe pas. Il en existe seulement deux simulacres : la critique de coterie et la critique laudative. La critique de coterie, de clan, est encore exagérée par ce fait de la division du pays en petites patries indépendantes et rivales ; le grand homme des Bostoniens ultra-graves et qui monopolisent la culture intensive des cerveaux, a des chances de ne point être le grand homme des élégans de Washington ; et quant à la littérature californienne, qui semble en plein éveil actuellement, tout l’Est, du haut de ses traditions, la regarde d’un œil soupçonneux. Mais lors même que la critique américaine est indépendante, sincère, elle n’en vaut guère mieux pour la formation publique, car elle cherche aveuglément dans les hommes qu’elle étudie ce qui peut être loué et elle l’exalte, sans paraître soupçonner leurs défauts pourtant probables. M. van Dyke a très justement accusé cette critique de ne point différer de la