Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/552

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On fait surtout dépendre la politique polonaise des questions internationales, de la révolution russe, de l’avènement au pouvoir du club polonais de Vienne, du flux et du reflux du mouvement des nationalités, car, dans l’esprit public, la résurrection de la Pologne signifie la ruine de l’Empire allemand. En 1815, lord Castlereagh, rappelant au prince de Hardenberg que les mesures de germanisation mises en œuvre par la Prusse après l’annexion de la Pologne n’avaient pas réussi, l’avertissait des conséquences funestes que pourrait avoir la reprise du même système administratif pour l’équilibre européen, et déclarait nécessaires des institutions libérales qui tiendraient compte de la nationalité polonaise. Les temps sont changés, apparemment, et le prince de Bülow, répondant aux objections tirées du sentiment de l’étranger contre l’expropriation disait, avec juste raison, que chaque peuple est aujourd’hui maître chez lui.

On rencontre des Polonais qui croient au bouleversement de l’Europe et à la restauration du royaume de Pologne. Leurs espérances se nourrissent de convictions mystiques. Les longs désirs et les temps fertiles en événemens soudains et considérables favorisent l’éclosion des prophéties. Plus nombreux encore peut-être sont les Allemands qui agitent ces mêmes pensées. Leurs craintes étayées sur une diplomatie conjecturale, forment une sorte de « catastrophisme » politique, qui fait pendant à ce système en vogue dans l’ordre économique. La question reste de savoir s’il est bon de gouverner les peuples de l’an 2000 avec les terreurs de l’an mil.

On objecte enfin contre la politique de conciliation l’ingratitude des Polonais à l’égard de la Prusse qui, nous l’avons dit, a fait de grands efforts pour enrichir les marches de l’Est. A la vérité, les Polonais reconnaissent qu’ils doivent leur bien-être matériel aux méthodes et à la discipline de leurs maîtres ; mais l’augmentation du nombre des têtes de bétail ne les satisfait pas comme un idéal. Et voici, selon nous, le nœud, le Kernpunkt de la question polonaise. La bureaucratie prussienne n’ayant considéré que l’état de misère auquel « l’anarchie » avait réduit ce peuple, ne s’est inquiétée que de ses besoins accessoires ; elle a pensé qu’en badigeonnant, exhaussant, rebâtissant les masures du temps de l’annexion, elle ferait des habitans de fidèles sujets du roi de Prusse. Par dédain, ou par incapacité, elle n’a pas pénétré jusqu’à l’âme. Et c’est pourquoi « on gouverne à côté. »