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Ce qui est vraiment en cause, ce ne sont ni des rêves dans l’avenir, ni la jouissance dans le présent, mais bien deux ou trois idées abstraites, précises, irréductibles, qui bravent les lois et narguent la force. Le Kulturkampf fit craindre aux Polonais qu’on n’en voulût à leur religion ; la « guerre scolaire » leur prouva qu’on haïssait en eux ce qu’il y a de plus essentiel et de plus intime, la pensée. Or, il en est des langues comme des religions ; elles ne succombent sous les lois oppressives que lorsqu’elles sont mortes à la racine, qui est dans le cœur des hommes. Un jour, en Silésie, la curiosité nous mena à la messe des Vieux-catholiques. La petite église n’était pleine que de vieillards qui chantaient des cantiques d’une voix pieuse et cassée. Par-dessus cette mélopée expirante nulle voix d’enfant ne criait vers l’avenir. C’est à ce spectacle émouvant qu’aboutissait l’un des projets caressés une heure par le grand Bismarck. Dans les rues des villes et des villages de Posnanie, d’innombrables troupes d’enfans jouent et ne parlent que polonais. Que penser de cette manière de rébellion ? « On nous reproche, disait le prince de Radziwill à la Chambre des seigneurs, de ne nous être pas clairement expliqués sur le fait de notre dépendance vis-à-vis de l’Etat. Ceux qui formulent ce reproche désirent donc qu’une telle déclaration implique la renonciation à notre nationalité. Si je reconnais les soins d’ordre matériel dont nous avons été l’objet, je formule une lourde accusation contre l’administration prussienne qui n’a pas fait ce qui était désirable pour le développement intellectuel des Polonais et leurs besoins nationaux : langue, histoire, littérature, conscience populaire nationale, mais au contraire a employé tous les moyens dont elle dispose pour les entraver... Vous ne pouvez pourtant pas exiger que le Polonais qui veut conserver ses qualités nationales, sa manière propre de sentir intellectuellement et moralement, dépouille sa nationalité comme on quitte son manteau à l’entrée d’un Verein. Ce n’est pas là de l’hostilité contre l’Allemagne, comme on l’affirme toujours faussement... Nous estimons comme tout le monde ce qui, en Allemagne, est estimable... Nous ne spéculons nullement sur les sympathies de l’étranger... En ce qui concerne l’étranger, la considération pour la vie intellectuelle allemande est exaltée à côté de la juste condamnation des mesures politiques du gouvernement prussien. »

Les Polonais veulent, dans l’Etat prussien, rester une nation.