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Bismarck devait être chancelier impérial, mais il ne voulut pas d’égalité sur ce point avec Beust. Il s’écria que, s’il acceptait ce titre, il se trouverait en une trop mauvaise compagnie. Il y eut peu de débats sur la question des couleurs de l’Empire, car, ainsi que le Roi le disait, ». elles n’étaient pas sorties de la boue des chemins. »

On comprend combien tous ces détails devaient agacer, irriter le chancelier. Il les trouvait puérils et il s’étonnait que son souverain y attachât tant d’importance. Le prince royal revient encore dans son Journal sur les regrets du Roi d’avoir à changer de titre. « On voyait, dit-il, combien il lui était pénible de dire adieu dès demain à la vieille Prusse, à laquelle il était si fortement attaché ! Comme je lui parlais de l’histoire de notre Maison et que je lui rappelais comment du rang de Burgrave nous étions arrivés à celui de prince Electeur, puis à la dignité royale, et comment Frédéric Ier avait su exercer un si grand prestige royal que la Prusse avait pu mériter aujourd’hui lu dignité impériale, il répliqua : « Mon fils est de toute son âme pour le nouvel état de choses, tandis que moi je n’y attache pas la moindre importance. Je ne tiens absolument qu’à la Prusse[1] ! » Je lui dis alors que le Roi et ses successeurs étaient obligés de faire de l’Empire restauré une vérité. » Ce que ne rapporte pas le prince royal, c’est qu’au moment où il appuyait une assertion historique du chancelier au sujet de la préséance, le Roi frappa la table du poing et cria : « Et quand même il en aurait été ainsi, j’ordonne, moi, à présent, comment il en sera ! » Puis il se leva furieux, s’approcha de la fenêtre et tourna le dos à ses interlocuteurs. D’après le grand-duc de Bade, qui le relate dans son Journal intime, le Roi aurait ajouté : « Ce jour aura été le plus mauvais jour de ma vie, à moins que ce ne soit demain. » Guillaume aurait même voulu décommander la cérémonie, puis il se résigna en disant : « C’est bien, mais j’abdiquerai après la paix ! » Cette pénible séance dura plusieurs

  1. Le vicomte de Gontaut-Biron, dans ses Souvenirs : Mon Ambassade en Allemagne, rapporte qu’en 1872 le prince de Bismarck ne disait pas « l’Empereur » ou « l’Impératrice. » mais « le Roi et la Reine. » Gontaut-Biron en fit l’observation à des Allemands qui lui répondirent que l’Empereur tenait beaucoup à être à Berlin le roi de Prusse, comme pour ne pas laisser oublier que l’Allemagne était la conquête de la Prusse. Ils ajoutèrent que Guillaume ne s’entendait jamais appeler l’Empereur sans devenir sérieux, presque triste, et que cette sensation était encore plus marquée chez l’Impératrice.