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de se passionner pour cette rhapsodie qui m’apportait, à moi, un peu de notre France. J’étais fier qu’un des nôtres eût trouvé des paroles capables de pénétrer dans des âmes si profondément étrangères, si obscures pour nous, si fermées à tout ce qui nous touche ! Et quand, la pièce finie, le rideau se releva sur le chœur, qui entonnait, encore une fois, l’hymne impérial : « Louange à Dieu et longue vie au Sultan ! » je l’avoue, je me levai d’enthousiasme, parmi tous ces Musulmans debout, et, durant ces minutes-là, je fus à l’unisson avec eux.

J’accorde tout de suite que des spectacles de ce genre sortent un peu de l’ordinaire et aussi que la masse populaire demeure Ignorante de ces nouveautés. Il n’en est pas moins vrai que, dans les grands centres, cette imitation plus ou moins instinctive de nos plaisirs occidentaux est un symptôme extrêmement curieux. Petit à petit, la plèbe citadine stimulera par son exemple les rustres réfractaires ou retardataires. Et puis le théâtre est un instrument de culture que les élites d’Orient ne peuvent pas manquer d’employer tôt ou tard et de faire servir au relèvement intellectuel de leur peuple. Déjà, dans les villes, il y court de lui-même ; et il accueille, avec non moins de plaisir, les drames en images du cinématographe. Cette lanterne magique nouveau-style tient lieu de journal à ces illettrés, en leur commentant les faits-divers contemporains et les événemens de la politique. Le sujet qu’ils préféraient, il y a deux ans, c’étaient les éternelles victoires japonaises. A Alexandrie et au Caire, quand un directeur de cinématographe annonçait sur son programme la prise de Port-Arthur ou la bataille de Tsoushima, il faisait salle comble. Ce sont là des indications qui ont leur valeur, aussi bien pour les patriotes qui aspirent à diriger ces foules, que pour le passant qui les regarde en simple témoin.


IV. — L’INCONNU.

Dans cette revue forcément sommaire, nous avons tâché seulement de dégager les caractères généraux qui distinguent la plèbe orientale prise en bloc. Or, précisément parce que cette plèbe est en voie de transformation ou d’évolution, certains de ces caractères peuvent nous paraître contradictoires, comme le sont les influences qui se combattent en elle : c’est l’éternel antagonisme du passé et de l’avenir, souvent si mêlés que l’un