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les promesses. Et encore à présent, quand je vous considère, que je regarde toute la délicatesse, toute l’élévation de votre caractère, je ne comprends pas votre conduite envers moi. Je me dis : Mais il faut que je n’aie jamais été comprise ou que j’aie [commis] des fautes dont je n’ai pas la conscience, tant je trouve que vous valez mieux que vous n’avez agi. Hélas ! vous me plaisez tant que j’en perds la tête. Malgré tout ce que je souffre, je suis encore remplie d’un bonheur mélancolique quand je suis à côté de vous, le soir, et quand par instant je m’abandonne à l’illusion, vous vous éloignez de moi si froidement, comme si vous craigniez que dans un si complet naufrage je ne sauve quelques débris. Je crois que vous êtes bon et que vous ne savez pas le prix que j’attache à chaque quart d’heure de vous, à chaque parole douce qui est pour moi une perle que je conserve, que je regarde, que je retourne pendant mes heures de solitude.

Si encore je pouvais trouver mon malheur juste ! Mais il me semble que je ne le méritais point. Je n’avais demandé qu’une grande affection et des liens que tout le monde a, qui sont les plus communs du monde. La pauvreté m’était égale. Je ne demandais point la renommée pour ce que j’aimais. Je me contentais de savoir que personne ne la méritait autant, et vous ne m’avez jamais su gré de cette entière absence du mélange de toute petite passion dans celle que j’avais pour vous. Je vous ai entendu approuver ces amours vulgaires qui aiment pour les louanges que l’objet reçoit du public. Et croyez-vous que moi aussi je ne serais pas sensible à cela ? Croyez-vous que c’est par apathie ou insensibilité à la renommée que je n’en avais pas besoin pour vous, ou que je n’apprécie pas la distinction pour ce que j’aime ? Hélas ! je ne suis pas au-dessus de toutes ces misères ; mais je vous aimais tant, que je n’en avais pas besoin pour vous. Et quand, lorsque vous êtes resté si longtemps en Italie que j’ai été si profondément blessée et que je me suis cramponnée à la passion que me témoignait Cousin, je m’y excitais par sa gloire que je m’exagérais peut-être. Si encore dans cette absence de tout espoir, ce vide de ma vie présente, je vous voyais quelquefois seule, si je pouvais me plaindre, si je pouvais sangloter sur votre sein ! Mais vous n’avez jamais l’idée de tâcher de me donner du courage, de me plaindre... Il faut que seule, sans appui, je combatte sans cesse avec moi-même contre l’irritation, le découragement, les souvenirs et l’inespoir ;