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il faut que je prenne l’air gai, quand j’ai la mort dans l’âme, pour ne pas trop vous ennuyer ; il faut que je ne vous demande rien, rien pour ne pas recevoir une réponse sèche ; il faut qu’après avoir été la confidente de toutes vos actions, je ne vous demande pas une question sur ce que vous faites, sur où vous allez, questions que mes amis les plus ordinaires regardent comme des marques d’intérêt ; il faut qu’avec l’imagination la plus active à me tourmenter, je ne cherche jamais à la calmer en voyant les faits tels qu’ils sont ; que, remplie d’amertume et de désappointement, j’aie l’humeur égale comme si j’étais heureuse, et peut-être que, si j’en viens à bout, vous trouverez cela tout simple et ne m’en saurez pas plus de gré.

Au moins, pensez que je ne vous ai pas aimé d’un amour ordinaire ! Pensez que si j’ai un caractère qui ne vous plaît plus, c’est avec ce caractère que je vous aimé, et que si j’avais été calme et calculatrice, j’aurais peut-être conservé votre affection ; mais j’aurais peut-être aussi [eu] le bon sens de ne pas m’être attachée avec si peu d’assurance pour l’avenir, que si je ne vous avais pas aimé si passionnément, j’aurais été moins portée à la vengeance. Vous rappellerez-vous du temps où vous me disiez : Chère petite, vous donneriez de l’âme à ce marbre[1].


Journal de Mary Clarke.


Jeudi, 26 janvier.

Mardi M. Fauriel est venu dîner ici ; il est arrivé avant l’heure. Nous causions tranquillement, j’appuie mon coude sur son genou et mon visage près du sien. Il se lève et va regarder la carte de l’Europe. Je ne sais alors quel courage tranquille me saisit, je lui dis : « Vous me quittez ainsi, et depuis mon retour vous m’avez repoussée chaque fois. Vous avez dû vous apercevoir que depuis peu j’ai changé de manière avec vous ; eh bien ! à présent, je vous dis adieu et jamais cela ne m’arrivera plus ! » En ce moment, il fallut aller dîner. Nous revînmes ici. J’étais inspirée comme malgré moi du courage qui m’a toujours manqué ; je priai maman de rester en rentrant ici. Je lui redis les mêmes choses. Je lui demandai s’il était changé. Il me dit,

  1. Aucune des lettres de Fauriel que nous avons eues sous les yeux ne répond à ces émouvantes pages. L’explication s’en trouve dans les fragmens suivans du Journal.