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Nous saurons ce que vaut le séjour de Ferrare si nous savons ce que vaut la famille d’Este. Il n’est pas très facile de s’en faire une idée d’après les deux derniers biographes du Tasse. Chacun d’eux voit les choses à son point de vue, l’un tout en beau, l’autre tout en noir. Si l’on en croyait Solerti, ces princes et ces princesses auraient tous les mérites, le goût très vif des lettres et des arts, l’amour de l’élégance sous toutes les formes, une virtuosité tout italienne et par-dessus le marché, dans un siècle assez corrompu, plus de vertus que la plupart de leurs contemporains. Avec M. Angelo de Gubernatis, le son de cloche est très différent. Dans une série de portraits tracés à l’emporte-pièce, il fait défiler devant nous les personnages de la famille en nous montrant des dessous qui n’ont rien de glorieux.

D’abord, le cardinal Louis d’Este lui-même, fils d’Hercule il et frère cadet du duc Alphonse de Ferrare. En qualité de cadet, sa famille le destine à l’Église, quoiqu’il semble tout à fait dépourvu de vocation religieuse. Il aime, nous l’avons vu, le luxe et le faste. C’est bien un des derniers prélats de la Renaissance, avant la rigoureuse réforme de l’Eglise. Désordonné et dépensier, galant et voluptueux, il donne des exemples d’élégance, il n’en donne aucun de vertus sacerdotales. Toute l’Italie connaît l’histoire de ses amours avec la belle Lucrèce Bendidio. Les lettres que celle-ci lui écrit, qu’on a retrouvées et publiées, témoignent de la plus violente passion. Pendant que le prélat séjourne à la cour de France, elle voudrait arriver auprès de lui en même temps que ses lettres pour le revoir plus tôt. Si l’éloignement paraît le refroidir un instant, elle lui écrit qu’elle ne pourra goûter un moment de repos tant qu’il n’aura pas repris le ton habituel de leur correspondance amoureuse. S’il témoigne quelque jalousie de la savoir à la cour de Ferrare, entourée d’adulations et d’hommages, elle lui offre de s’en éloigner, de se retirer à la campagne, de vivre uniquement pour lui, tout entière consacrée à son souvenir.

Léonore d’Este, dont Lucrèce Bendidio est une des dames d’honneur, entre en scène à son tour. Ce parangon de vertu, que Solerti couvre de fleurs, est déshabillé par M. Angelo de Gubernatis avec une volupté cruelle. On a beau invoquer en sa faveur l’admiration qu’elle inspirait aux habitans de Ferrare, la reconnaissance publique qui lui attribuait le mérite d’avoir fait cesser par ses prières une inondation du Pô et un tremblement de