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anciens engagemens, qu’il tombait d’étonnement en apprenant que j’y croyais, qu’il avait sans doute eu tort de me laisser dans l’erreur, mais qu’il me croyait dans de tout autres dispositions, et qu’il n’avait aucune envie de les renouer ; 2° que ce repoussement que j’avais toujours pris pour accidentel, pour passager, pour que sais-je, était une détermination longue de témoigner sans le dire un changement dans ses sentimens. Il ne me dit pas : « Je ne suis plus amoureux de vous, » mais c’était cela ; 3° que mon extrême susceptibilité et nos caractères en étaient la cause seconde, quoique Cousin fût la première. Après bien de l’agitation, je tombai dans un silence sombre. Il eut déjà quelque tendresse. Il me baisa la main avec une espèce de religion, il se jeta à mes genoux pour me dire combien il désirait mon bonheur ; mais je sentais comme un fer rouge dans ma poitrine. Après toute cette agitation, nous restâmes dans un silence sombre pendant quelque temps, et puis il s’en fut, disant qu’il ne viendrait pas demain. Je dis « non, » car je ne désirais plus le voir. Peu de temps après, M. Mohl vint me demander ce que j’avais. Je me sentais si malheureuse que je m’appuyai sur lui. Je ne voulais pas lui faire un mensonge. Je dis que M. Fauriel m’avait fait de la peine. Chose étrange, il se contenta de cette réponse, parut respecter mon secret, me serra contre son cœur, contre ses lèvres avec le sentiment que j’aurais voulu dans Fauriel. Je me laissai faire comme une bûche, j’étais remplie de tendresse et de reconnaissance. Je souffrais un peu moins, mais je ne répondais à rien.


1er février.

Je souffre beaucoup, je fais des projets sans cesse : tantôt je veux m’enfuir, tantôt je ne veux plus le voir. Je suis certaine d’une chose, c’est que si je pouvais le voir tous les jours cinq ou six heures, je serais beaucoup mieux. C’est une douceur qu’il avait dans sa douleur pour Cousin. Je voudrais lui écrire, mais je ne veux pas, à quoi bon ? Je voudrais lui demander pourquoi, lorsqu’il m’a vue si agitée avant de partir cet été, il ne m’a pas dit la vérité ; s’il voyait une pauvre mère serrer son enfant mort dans ses bras pendant trois ans, toujours dans l’illusion qu’il va se réveiller, il aurait l’inhumanité de lui dire qu’il est mort et de l’en arracher : pourquoi m’avoir laissée prodiguer la passion à ce qui était mort ? Je l’ai vu hier ; j’ai perdu toute capacité