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encore, et sans fracas, Arvède Barine avait renouvelé le sujet auquel elle avait touché et ouvert la voie à tout un peuple d’exégètes.

Il lui restait à retracer l’histoire, non plus d’un individu, mais d’une société. L’entreprise n’excéderait-elle pas ses forces ? Tel réussit un portrait qui échoue dans une composition d’ensemble. Son histoire de la Grande Mademoiselle est son chef-d’œuvre et c’est l’un des meilleurs récits historiques de notre temps. C’est toute une époque qu’il fallait ici faire revivre, dans sa complexité, avec son aspect extérieur et sa vie intime, sans en fausser l’harmonie, sans en déranger les proportions. Voici donc, brossé dans une large fresque, le décor de la France du XVIIe siècle. Paris d’abord avec le fourmillement de ses rues, le luxe de ses salons, le brouhaha de ses théâtres, et son Louvre et ses Tuileries, et son Jardin de Renard. Puis, sur la route des châteaux de province, à Saint-Germain, à Blois, à Saint-Fargeau, l’encombrement des chariots qui déménagent pour chaque installation nouvelle le mobilier, les tentures et la vaisselle royale. À mesure que chacun des personnages monte sur les tréteaux, il nous est présenté en traits rapides et inoubliables. Au seul nom de Gaston d’Orléans, qui ne revoit, tel que nous le montre l’historien, ce prince brillant et lâche, gai et pleutre, voltigeant, pirouettant, la main dans sa poche, le chapeau sur l’oreille et toujours sifflotant ? Et les acteurs du drame qu’on rencontre sur cette grande route du siècle, s’appellent Anne d’Autriche, Retz, Louis XIV ! Celui-ci joue dans la seconde partie du récit un rôle effectivement si considérable qu’il a fallu le tirer au premier plan et que le volume s’intitule Louis XIV et la Grande Mademoiselle. Mme Arvède Barine n’est suspecte pour lui d’aucune tendresse ; on peut trouver même qu’elle le juge avec sévérité. Mais comme elle le montre vivant et humain ! Ce n’est plus l’idole emperruquée, planant avec majesté sur le siècle qui désormais portera son nom ; mais c’est, tour à tour, le petit garçon abandonné aux valets et qui court les cuisines, le jeune prince à demi gagné aux idées des libertins, et le grand travailleur attaché sans défaillance à son métier de roi. Une à une, nous voyons surgir toutes ces questions qui font l’atmosphère d’une époque : l’éducation au XVIIe siècle, celle des princesses et celle des petites bourgeoises, la littérature romanesque et son influence sur les mœurs, la politesse de l’Hôtel de Rambouillet remplaçant la grossièreté et la barbarie, la renaissance catholique avec François de Sales et Bérulle, l’entrée des femmes dans la politique quand Chevreuse et Longueville mêlent intrigue et amour, les progrès de la conversation, le sentiment de la nature, l’explosion de la misère au