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regretté, — pour d’autres raisons, — Alfred Ernst, est quelque chose d’affreux. Imposez-nous la langue de Wagner, soit, mais ne lui sacrifiez pas la nôtre. On aimerait cent fois mieux ne pas comprendre l’allemand que d’entendre un français pareil. Il est vrai qu’on ne l’entend guère.

A la place de M. Messager, nous avons vu M. Rabaud diriger l’orchestre avec intelligence toujours, et parfois (au moment de la marche funèbre) le soulever avec vigueur. Vigoureuse est aussi la déclamation, ou plutôt la prononciation de M. Van Dyck (Siegfried). L’articulation fut de tout temps et demeure encore le principal élément de son art. Quand on entend, quand on voit M. Van Dyck chanter Wagner, on a littéralement l’impression qu’il vous mâche la besogne. Plus d’une fois on l’en remercie. En Brunnhilde comme en Iseult, Mlle Grandjean est appliquée et studieuse. L’art n’a peut-être jamais eu de plus honnête servante. J’accorde qu’au dernier moment Brunnhilde a montré, dans ses rapports avec son cheval, un peu de froideur et de gène. Les attitudes et les mouvemens ici ne sont pas commodes. L’élan final, et jusque sur le bûcher, de la femme et de la bête, offrira toujours quelques difficultés. C’est une de ces visions, nombreuses dans Wagner, qu’il convient de laisser à la seule musique, — elle en est capable, — le soin de nous donner. Aussi bien, et d’un bout à l’autre, la scène dernière de la Göttermämmorung défie et dépasse toute représentation matérielle. A l’Opéra comme ailleurs, écoutez-la, mais abstenez-vous de la regarder.


Il faut avouer que notre « capacité » musicale s’est extraordinairement accrue. Après la Götterdämmerung à l’Opéra, nous avons eu la Messe en si mineur, de Jean-Sébastien Bach, au Conservatoire ; la messe en si mineur tout entière, d’un seul coup, et elle a très bien passé. Elle aurait peut-être étouffé les contemporains eux-mêmes du vieux cantor. En tout cas, celui-ci paraît ne leur en avoir jamais servi que des morceaux. C’est de 1733 à 1738 que Bach écrivit l’énorme chef-d’œuvre. Il le destinait à la cour de Saxo, laquelle était catholique. L’Electeur Frédéric-Auguste, en montant sur le trône de Pologne, ou pour y monter, avait abjuré le protestantisme, au grand déplaisir de sa femme Eberhardine et de ses sujets saxons.

On dit : la Messe en si mineur, et l’on a raison. On pourrait dire, presque aussi bien : la Messe en majeur. Les deux modes et les deux tonalités y alternent : l’une sombre et l’autre éclatante ; l’une exprimant la méditation et la plainte, la mélancolie et la douleur ; l’autre,