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interprète de l’action et du mouvement, de l’allégresse et de la gloire. Et ce dualisme est le premier aspect sous lequel, entre des forces contraires mais égales, l’œuvre apparaît partagée et constamment en équilibre.

D’autres élémens s’y balancent. Prodige de polyphonie, la Messe de Bach n’en est pas un moindre de monodie ou de mélodie. Ainsi le principe collectif et la puissance du nombre y respectent les droits et la force de l’individu. Quelles que soient la taille et la richesse de ces gigantesques ensembles : le Kyrie, le finale du Gloria, l’épisode central du Credo et le Sanctus, des morceaux pour deux voix, pour une seule même : le Laudamus te, le Qui sedes, le Benedictus ou l’Agnus Dei, ne paraissent ni pauvres ni petits, à côté. L’idée mélodique y est d’une incomparable grandeur. Elle y a toujours ou presque toujours le caractère instrumental. C’est dans les chœurs et non dans les soli que Bach a le plus souvent déployé les ressources vocales de son génie. Mais quelle n’est pas la musicalité, sinon la vocalité, de ces cantilènes solitaires ! Chacune, prise au hasard, offre à l’analyse l’idéal d’un organisme complexe autant qu’harmonieux, d’une hiérarchie à plusieurs degrés et dans tous les ordres : ceux du nombre, de la mesure et du mouvement. Admirable par la variété rythmique, telle mélodie de la Messe en si mineur l’est encore, et peut-être davantage par l’ampleur, par la projection et le développement d’une ligne, d’une courbe à longue portée et quelquefois même à portée infinie. Elle enveloppe un espace immense. Elle y trace aussi des figures, des groupes de figures à la fois logiques et fibres, qui dépendent, procèdent les unes des autres, mais suivant des rapports et des lois où paraît plus de sympathie et d’attrait que de contrainte et de rigueur. Rien ne gêne, rien ne hâte leur évolution lente. Mais plutôt, si quelque détour la suspend, c’est pour y ajouter tantôt une force, tantôt une grâce toujours imprévue, jamais inutile, encore moins étrangère, qui l’accroît, l’enrichit et ne la dénature point.

Enfin, et par là d’ailleurs elle ressemble à la mélodie de Mozart et de Beethoven, à la grande mélodie classique, longtemps avant de s’achever ou de se développer seulement, la mélodie de Bach a déjà sa forme et sa valeur. Ne faisant à peine que s’exposer, elle s’impose, et, rien que dans ses quatre ou cinq premières notes, un thème comme celui du Qui sedes ou de l’Agnus annonce et définit à l’avance tout son caractère et toute sa beauté.

Non moins que la mélodie, il semble que l’instrumentation participe aussi de cet individualisme qui, dans la Messe en si mineur, correspond