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qui lui permît de vivre avec aisance, une liberté absolue de mouvement et la certitude qu’on ne lui demanderait rien en échange que d’écrire de beaux vers. La volonté d’être bon quand même, de ne pas traiter un grand poète comme un simple courtisan, de lui pardonner beaucoup de choses en considération de son génie, aurait apaisé beaucoup) d’orages.


V

Nous nous en rendrons compte en étudiant de près la crise de la folie, telle que la raconte Solerti dans un chapitre bourré de documens. En 1575, la Jérusalem délivrée est terminée au moins dans ses grandes lignes. Si le Tasse suivait les conseils de la duchesse d’Urbin qui paraît avoir été son bon génie, il publierait son poème et tirerait de cette publication deux avantages : celui de prévenir les éditions fautives qu’on ne peut manquer d’en faire malgré lui sur les manuscrits qui circulent, et celui non moins important de donner satisfaction au duc de Ferrare. Mais c’est à partir de ce moment que le malheureux poète commence à donner des signes d’agitation. Sous une impression sans doute maladive, il est assailli à la fois de scrupules littéraires et de scrupules religieux. Il consulte les critiques les plus renommés de l’Italie sur certains passages qui lui paraissent faibles et les représentans de l’Inquisition sur d’autres parties peut-être critiquables au point de vue de la doctrine. Des témoignages formels et réitérés devraient avoir pour effet de le rassurer sur son orthodoxie. Il s’inquiète néanmoins, et il en appelle de l’Inquisiteur de Ferrare, qu’il trouve trop indulgent, à l’Inquisiteur de Rome, qui n’aura pas les mêmes motifs de le ménager. Ce drame de sa conscience se complique d’un autre drame intérieur. Restera-t-il ou ne restera-t-il pas au service de la maison d’Este ? Question poignante qu’il se pose fréquemment sans la résoudre. Le duc de Ferrare et lui jouent au plus fin. Le duc lui propose de le nommer son historiographe, sans avoir envie qu’il accepte, et lui-même ne fait semblant d’accepter que pour mieux se dérober ensuite. Si nous regardons au fond de ses hésitations, nous verrons reparaître la douloureuse question d’argent. Le Tasse est convaincu qu’on ne lui offrira rien qui ne soit au-dessous de son mérite et de ses travaux. Dans ces conditions, il regarde du côté des Médicis ; mais de ce côté-là, il ne