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tout-puissant archevêque de Paris, dont Mme de Sévigné disait : « La mort de M. de Paris vous aura infailliblement surprise… Il s’agit maintenant de trouver quelqu’un qui se charge de l’oraison funèbre du pauvre mort. Il n’y a que deux petites choses qui rendent cet ouvrage difficile : c’est la vie et la mort. » Il préféra l’amitié de Bossuet, quoiqu’elle fût moins profitable.

La fortune politique de Bossuet était, en effet, restée médiocre. Il était dans l’estime du Roi, mais non dans la faveur. L’éducation du grand Dauphin s’achevait, et son élève ne paraissait pas lui être attaché. En revanche, son autorité morale avait grandi. C’était, de l’aveu général, un grand personnage et un grand homme, le plus grand personnage de l’Église de France. Fénelon se soumit donc à la domination de Bossuet, et ce fut pour son profit.

Non pas qu’il ait alors rien aliéné de son indépendance. Même sous le coup de l’admiration, il reste libre avec une attitude aisée. Vieux, il conseille à son neveu, Fanfan, d’user avec les grands « d’un badinage léger et mesuré, qui est respectueux et même flatteur avec un air de liberté ; » voilà justement le ton qu’il emploie avec Bossuet. Il n’a rien perdu, non plus, de son originalité intellectuelle. Les ouvrages qu’il écrit en ce temps, d’après les conseils et sous les yeux même de Bossuet, n’ont rien de la méthode et de l’esprit de Bossuet. Lisez la Réfutation de Malebranche : Fénelon ne saisit pas corps à corps son adversaire, en dialecticien vigoureux ; il s’amuse à le pourchasser d’interprétation en interprétation jusqu’à ce qu’il ne lui ait plus laissé de gîte où demeurer. Bossuet discutait autrement. De même, s’il veut prouver l’existence de Dieu, il anime et passionne en artiste son argumentation plus attentif à ce que l’univers révèle de beauté et de bonté, qu’à l’ordre et la raison qu’on y peut trouver ; et ce qu’il a écrit devrait s’appeler, non pas le Traité de l’Existence de Dieu, mais le Génie du Spiritualisme. Bossuet, lui, fait céder le sentiment à l’argumentation. Enfin dans les Dialogues sur l’éloquence de la chaire, il veut que le prédicateur, ne prêchant que Jésus-Christ et les Saints, ait l’éloquence improvisée d’un homme qui assiste à un spectacle émouvant, qui le raconte tel qu’il le voit, avec les mots tels qu’ils se présentent, avec l’émotion telle qu’il l’éprouve. Et peut-être Bossuet eût-il acquiescé. Mais savez-vous par quelles lectures le prédicateur se préparera à cette improvisation qui est la