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nature et la sincérité même ? Par la Bible et par Homère ! La Bible, Bossuet y eût consenti, mais Homère ? En somme, Fénelon est reste lui-même. Et pourtant l’amitié de Bossuet a eu sur lui une forte influence. Cette influence se reconnaît à ce trait que, dans ces ouvrages, et presque malgré lui, Fénelon est un ouvrier.

Oui, Fénelon agit, en écrivant ; et les trois ouvrages dont nous venons de parler, et que d’ailleurs Fénelon n’a pas publiés lui-même, sont des actions. Il ne les avait pas entrepris pour le plaisir de la création artistique, ni pour s’enchanter avec de belles inventions comme le Télémaque. Non pas ! C’était pour rendre service à sa foi et à sa religion. Il voulait d’abord prémunir les esprits contre les attraits et les dangers de la philosophie de Malebranche. Bossuet a dit, dans un passage fameux : « Je vois non seulement en ce point de la nature et de la grâce, mais encore en beaucoup d’autres articles très importans de la religion, un grand combat se préparer contre l’Église sous le nom de philosophie cartésienne. » Fénelon, prévenu par Bossuet, vint combattre ce danger. De même, c’était un danger que l’appauvrissement de l’inspiration spiritualiste. Car, non seulement les disciples de cet « athée de Spinoza, » comme on disait, non seulement les Epicuriens, négateurs de la Providence, mais aussi et tout autant les catholiques préoccupés du salut personnel, oubliaient, en s’agenouillant devant le Christ par qui seul on gagne le paradis, le Père céleste. De même enfin, il était capital de rappeler l’éloquence de la chaire à son vrai caractère de source de vie et de foi ; car le sermon, pris dans des règles étroites, et attaché toujours aux mêmes sujets, c’est-à-dire à l’analyse et à la description morale, ne savait plus aller jusqu’aux profondeurs qu’atteint seul le cri direct de l’amour et l’appel de l’âme à l’âme. Oui ces pages délicieuses qui, d’un mouvement si aisé, sortaient du génie de Fénelon, Traité de l’Existence de Dieu, Dialogues sur l’éloquence de la chaire, Réfutation de Malebranche, étaient des actes combinés en vue d’une utilité immédiate. Voilà ce que Bossuet gagna sur Fénelon. Malheureusement il ne gagna pas sur son disciple qu’aucun de ces actes fût parachevé, et portât l’utilité pour laquelle il avait été conçu.

C’est que justement, par son penchant, Fénelon répugne à l’action, j’entends à l’action préméditée, préparée et volontairement