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Un ascétisme exigeant et inflexible, l’obsession de la mort, du jugement, des peines éternelles, la préoccupation, égoïste il faut bien le dire, du salut personnel, l’idée que la plupart des hommes seront damnés, et qu’on n’échappera soi-même à la damnation que par un miracle (miracle de grâce, de volonté, de pénitence), tout cela avait enlevé à la dévotion de saint François et de saint Ignace son caractère généreux, amoureux et confiant. L’« esprit » de Mme Guyon, pénétrant dans ces sombres domaines, en chasse, — trop complètement peut-être, — la terreur et l’effort. Et la dévotion en est transformée.

Plus rien à faire, sauf au début. Au début, on se débarrasse de ce qui est péché et désir de pécher ; période de purgation. Le péché chassé, — ce qui n’est (relativement) ni très long, ni très difficile, — il n’y a plus qu’à aimer. Quoi donc ? faut-il renoncer à des actes de vertu ? Non pas. Il faut renoncer à vouloir et à préparer des actes de vertu. Il faut être vertueux sans préméditation, on improvise sa vie, comme Fénelon voulait qu’on improvisât un discours. Mais c’est bien facile ? Nullement. Il n’y a rien de difficile comme de renoncer à organiser sa vie, comme de renoncer à gouverner sa vertu, comme de renoncer à conduire son âme, comme de renoncer à sa volonté propre : c’est un abandonnement terrible ; et ceux qui en ont fait l’expérience savent de quel prix se payent les douceurs qu’il donne. Mais c’est déraisonnable ? Pas du tout. Il y a Dieu au fond de nous. Une fois introduits, par la purgation du péché, dans le monde divin, quand nous voulons, c’est nous qui voulons ; quand nous ne voulons pas, c’est Dieu qui veut pour nous ; ainsi nous finissons par nous perdre en Dieu. Mais à une condition : c’est que nous n’ayons ni pensée, ni arrière-pensée, pas même pour notre salut : il suffit d’aimer ; amour, folie d’amour et abandon.


V

Nous nous étonnons qu’un homme tel que Fénelon ait consenti à suivre une femme telle que Mme Guyon. Écoutez l’histoire de M. Olier.

En 1631, M. Olier, à peine converti, était dans le trouble, il ne discernait pas sa voie. À deux lieues de Pébrac, dont il était abbé, il y avait le couvent de Sainte-Catherine de Langeac ; la prieure, la mère Agnès de Jésus, eut une vision : il lui fut dit