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les envenime. Il donne un soufflet à un personnage de la Cour qu’il accuse de la violation de son domicile, il reçoit en revanche un coup de bâton donné par derrière et, quand il porte plainte, on laisse échapper le coupable.

Après ces incidens, dès 1577, le mal s’aggrave, A toutes les inquiétudes qu’éprouvait auparavant Torquato s’ajoute cette fois la peur d’être empoisonné. Soupçon auquel répondait cyniquement le duc de Ferrare en disant que, s’il avait voulu faire disparaître le Tasse, rien ne lui eût été plus facile. Il avait, en effet, montré par la disparition du comte Contrari avec quelle aisance il savait se débarrasser des gens qui le gênaient. Pour le moment, il n’en veut pas à la vie du poète. Seulement, il commence à s’inquiéter de sa santé. Lui et la duchesse d’Urbin le font visiter par les médecins. On combat chez le malade l’âcreté des humeurs en lui appliquant des sangsues, en le purgeant, en le saignant. Les remèdes ne suffisent pas. Dans la soirée du 17 juin, pendant que le Tasse s’entretenait avec la duchesse d’Urbin dans la chambre de celle-ci, un domestique en entrant pour son service excita les soupçons du visiteur qui courut sur lui un couteau à la main pour le frapper. A la suite de cet acte de violence, il fallut bien que Lucrèce elle-même, si bienveillante qu’elle fût pour lui, se décidât à le faire enfermer afin d’éviter quelque malheur. Comme le mande à son maître l’ambassadeur du grand-duc de Toscane, on l’arrêta non pour le punir, mais pour le soigner.

On multiplie dès lors les précautions, on fait griller la fenêtre de sa chambre qui donne sur la cour du palais, on attache à sa personne deux serviteurs qui ont ordre de le lier s’il se livre à quelque extravagance ou s’il tente de prendre la fuite.

Lucrèce et Léonore lui témoignèrent toutes deux dans cette circonstance un véritable intérêt et le duc de Ferrare, qui, le jour de l’incident, se trouvait à la campagne, l’y fit venir pour le consoler et pour le calmer ; Une nouvelle fantaisie lui passa alors par l’esprit. Son père Bernardo avait songé un instant à se faire moine, il parla à son tour d’entrer au couvent et le duc le fit conduire dans une voiture de la Cour chez les Franciscains de Ferrare. Ceux-ci, après l’avoir observé pendant quelques jours, inquiets de son exaltation, le ramenèrent au palais, d’où il s’évada, dans la crainte sans doute d’être enfermé de nouveau. Déguisé en paysan, évitant les grandes routes, l’infortuné accomplit la plus