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pénible des odyssées à travers le Sud de l’Italie pour arriver à Sorrente auprès de sa sœur Cornélie.

Là ni les soins, ni les marques de tendresse ne lui manquèrent, mais il fut impossible de l’y retenir. Un impérieux besoin de mouvement le poussait à se remettre en route. Il se rendit à Rome où il demanda asile aux représentans du duc de Ferrare.

Il témoigna alors un tel désir de retrouver ses manuscrits, de rentrer en grâce auprès du prince, d’être soigné par les médecins et par les pharmaciens de la Cour, les seuls qui lui inspirassent confiance, que les représentans du duc insistèrent à plusieurs reprises auprès de leur souverain pour qu’il daignât accorder au poète la permission de retourner à Ferrare. Tous deux dépeignent le Tasse comme un pauvre homme qui leur est arrivé dans un état lamentable, vêtu de haillons, qu’il a fallu rhabiller des pieds à la tête et qui parle tout simplement de mourir si on ne lui pardonne pas. Le temps que le duc met à répondre et la sécheresse de sa réponse indiquent qu’il ne tient pas du tout à revoir son ancien ami ; il est évidemment à bout de patience ! Lorsqu’il se décide enfin à écrire, il fait ses conditions en termes formels. Le Tasse ne sera autorisé à s’établir de nouveau à Ferrare que s’il commence par reconnaître qu’il a eu tort de se croire persécuté, s’il promet de se laisser soigner et de ne plus retomber dans ses humeurs noires. À ce prix on le laissera rentrer, mais il faut qu’il soit bien averti qu’au premier retour de ses violences de langage, s’il se permet encore une fois de récriminer et d’accuser les gens, comme il l’a déjà fait, il sera immédiatement conduit hors du duché, avec défense d’y rentrer jamais.

L’obstination avec laquelle, malgré tant de déboires, le poète se cramponne à la cour de Ferrare tient à la persistance de ses illusions. Il ne peut croire qu’un génie tel que le sien demeure méconnu et qu’on ne lui accorde pas enfin ce qu’il croit qu’on lui doit : une vie large, indépendante, des subsides suffisans sans aucune obligation assujettissante. Ce rêve de sa jeunesse qui nous révèle la force et l’étendue de son optimisme, il se figure toujours être sur le point de le réaliser. Que de fois il doit tomber de son haut lorsqu’il se heurte à l’implacable réalité !

Non seulement il ne trouve pas à Ferrare de nouveaux avantages, mais il ne retrouve même pas ceux dont il jouissait avant