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de prier pour l’abbé de Pébrac, qu’elle ne connaissait pas. Elle pria, elle fit pénitence à tel point que « les ardillons de ses disciplines se retroussaient contre ses os. » Au bout de trois ans ils se virent ; et, du premier regard, ils se reconnurent ; la mère Agnès lui fit comprendre à quelle perfection individuelle il était appelé, et à quelle mission. La mère Agnès mourut ; une veuve, Marie Tessonnière, communément appelée Marie de Valence, la remplaça pour M. Olier ; près d’elle, il éprouvait une paix et une ferveur merveilleuses. Après Marie de Valence, il y en eut encore d’autres. « Je bénis Dieu, écrit-il, qui, dans tous les états périlleux de ma vie, a suscité pour moi des âmes saintes, et qui non seulement a permis qu’elles eussent avec moi des liaisons spirituelles, mais leur a ordonné de m’offrir continuellement à Lui dans les temps de leur union la plus intime avec sa divine bonté. » Fénelon en conscience, après l’exemple d’un tel maître, ne pouvait repousser sans examen les révélations ou les promesses de Mme Guyon.

Et dès lors Fénelon fut pris. Mme Guyon le convainquit qu’elle avait des lumières sur les mouvemens obscurs de son fond. Elle lui fit goûter à côté d’elle ce singulier sentiment de joie et de paix qui semblait déborder d’elle. Elle lui fit expérimenter « l’opération de Dieu, » comme elle disait. Elle lui fit reconnaître ce « caractère foncier de la vérité intime, qui se fait distinguer même au milieu des plus grands troubles. » Il se mit donc à son école.

Il avait jusqu’ici entendu la piété à la suite de ses maîtres comme un grand effort qui fait de la vie un tissu d’actes, de pensées et de sentimens chrétiens. Il avait lu les docteurs de cette pédagogie, il savait les règles de la conduite des âmes. Laissons parler M. Masson : « Une grande lettre de l’abbé de Fénelon, antérieure à 1683, programme détaillé de vie spirituelle, adressée vraisemblablement à la duchesse de Beauvilliers, nous laisse voir sa méthode primitive, avant qu’elle ait été régénérée par Mme Guyon. C’est une réglementation très minutieuse de la journée chrétienne ; la minutie y est même poussée jusqu’au scrupule ; le nom et la pensée de Jésus-Christ y sont partout présens ; les prières vocales, la lecture méditée, l’utilisation des images matérielles pour soutenir l’esprit dans l’effort de la méditation (toutes choses dont plus tard il fera si bon marché) y sont mises au premier plan de la vie intérieure ;