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l’humiliation sous toutes formes, même l’humiliation physique des « prosternemens contre terre, » y est célébrée comme un moyen de salutaire purification ; « l’amour et la crainte de Dieu s’y mêlent dans un sentiment de pieuse obéissance. »

Ce qu’il enseigne aux autres, Fénelon l’a pratiqué sur lui. Peut-être, d’ailleurs, n’en était-il pas satisfait. Il n’y devait même plus trouver assez de difficulté, ni assez de solidité. Il est une l’âme si souple qu’elle cède, revient et ne peut prendre un pli durable. Il le constate ; il s’en inquiète sans doute. Mme Guyon va l’éclairer et le rassurer.

Elle explique très bien qu’il a, jusqu’ici, employé son temps comme il le devait. Il est arrivé au premier stade de la perfection. Il portait en lui, étant homme, un peuple innombrable de sentimens et de désirs ; il était appelé en tous sens vers ce qui lui plaisait, et tout lui plaisait. En lui se sont révélées ainsi mille capacités, mille facultés, mille « puissances » diverses, qui avaient chacune ses directions et ses passions. Mais un grand amour a surgi : l’amour unique de Dieu. Alors toutes ces puissances se sont orientées vers l’objet aimé ; tous leurs mouvemens ont tendu à former un faisceau. La guerre et l’anarchie ont été remplacées par la hiérarchie et l’harmonie. Seulement cela n’a pu s’opérer tout d’un coup et de soi-même. Il a fallu, par une sage et attentive discipline, soumettre à l’amour dominant toutes les puissances de l’âme ; il a fallu parfaire le faisceau. C’est à quoi Fénelon a courageusement travaillé. Il est arrivé à « l’unification des puissances. » Mme Guyon définit ainsi cet état : « La volonté, se laissant entraîner à un je ne sais quoi qu’elle goûte sans pouvoir l’exprimer, ni même le comprendre, attire à elle toutes les autres puissances, et réduit comme à un seul simple et indivisible les opérations des autres puissances, en sorte que toutes ces opérations réduites en un ne font plus qu’un seul et même acte qui est également chaleur et lumière, connaissance et amour. »

Mais ce n’est qu’une première étape. Il faut repartir sur une nouvelle voie, si l’on ne veut se heurter à un mur. En effet, quelle est la substance de la vie chrétienne ? C’est l’amour. L’amour tend à l’union ; il tend à faire un seul être de celui qui aime et de celui qui est aimé. Le tourment de l’amour vient de la peine à réaliser cette union ; l’amour parfait et parfaitement heureux, c’est cette union parfaitement réalisée. Or, la volonté fait obstacle