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à cette union. Plus je suis moi, moins je puis être autrui. Il faut que je cesse de vouloir, si je veux être autrui. Eh bien ! toute la pédagogie de la piété, toute la pédagogie de l’action, tout ce que Fénelon a fait jusqu’ici, a tendu la volonté, a fortifié la volonté et sans doute c’était la volonté bonne, mais c’était toujours la volonté personnelle. Quand il s’agissait de se confondre et de se perdre en Dieu, comme les eaux d’une rivière se perdent dans la mer, la personnalité, au lieu de s’abandonner et de se dissoudre, s’est contractée ; elle s’est faite rocher. Voilà où gît la grande difficulté et la contradiction. Mme Guyon fait éclater cette antinomie aux yeux de Fénelon ; mais, en même temps, elle lui enseigne le remède.

Ce remède, mais il paraît infiniment simple et facile. C’est de ne rien faire. Entendez bien, ne rien faire, ce n’est pas se croiser les bras. C’est ne rien vouloir ; c’est ne rien prédéterminer. Se laisser conduire sans les préparer, ni même les prévoir, par les devoirs que chaque heure apporte ; exécuter, les yeux fermés, l’obligation générale ou particulière que notre condition, les circonstances, le bon sens, l’obéissance nous imposent temporairement ou perpétuellement ; enfin, dans les cas où la loi morale et la loi religieuse n’imposent aucune conduite déterminée, s’abandonner à la première inspiration un peu profonde (pourvu que la volonté ne se mêle pas à cette inspiration) : tel est bien l’évangile de Mme Guyon.

C’est la voie de l’abandon que l’on ne doit prendre d’ailleurs qu’après avoir épuisé la voie de l’action.

La méthode d’abandon exige une foi prodigieuse. Elle exige que l’on sache reconnaître partout et en tout l’action particulière de Dieu. Il est facile (et c’est une superstition fréquente) de croire que les événemens surprenans ou importans de la vie sont des décrets particuliers de Dieu. Mais reconnaître Dieu dans les événemens les plus médiocres, dans les devoirs les plus mesquins, dans les obligations les plus basses, affirmer qu’il y a un vouloir spécial de Dieu là où l’œil le plus respectueux ne voit que les rencontres insignifiantes du hasard, ce n’est pas très facile, surtout quand on a l’esprit relevé. C’est pourtant ce qu’exige l’enseignement de Mme Guyon ; et sans cette foi, l’abandon n’est rien, c’est le farniente du Napolitain qui se couche au soleil.

Cette méthode convenait admirablement à Fénelon. Ce qu’il