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qu’il veut pour soi, que cette volonté droite toujours exposée sans retour à la volonté divine. »

Fénelon acquiesce ! Il sacrifie son esprit, il consent à tout oublier en matière de mystique, tout jusqu’aux conseils de la sagesse. Il abandonne aux mains de l’action mystérieuse le soin d’éviter les fautes et toute la thérapeutique morale : il ne veut plus que ne pas vouloir, et cela lui coûte horriblement. « Je suis trop à me servir de ma raison, dit-il, et à repenser souvent à une chose avant de m’y fixer, excepté certaines dans lesquelles il se représente d’abord à mon esprit une pensée si claire et si démêlée, qu’elle m’arrête absolument... J’ai à craindre d’être trop sage, trop attentif sur moi-même et trop jaloux de mes petits arrangemens. Mon penchant est de trop retoucher ce que je fais, et de m’y complaire. La règle de marcher comme un aveugle, jusqu’à ce que la muraille arrête, et qui se tourne d’abord du côté où il trouve l’espace libre, me plaît beaucoup ; mais dois-je espérer que Dieu me fermera aussi tous les côtés où je ne dois pas aller ? Et dois-je marcher hardiment, tandis qu’il ne mettra point le mur devant moi pour m’arrêter ? Je ne crois pas d’avoir à craindre de m’occuper de trop de choses : au contraire, je suis naturellement serré et précautionné ; de plus, mon attrait présent fait que l’extérieur m’importune et que je serais ravi d’avoir peu d’action au dehors, quoique je fusse peut-être contristé si certaines personnes considérables, qui me traitent bien, cessaient de me rechercher. J’ai dit aujourd’hui quelques paroles fort contraires à la charité, par une plaisanterie qui m’a entraîné, malgré un sentiment intérieur qui m’avertissait de me retenir : une personne a paru en être mal édifice. A l’instant, j’ai senti une douleur en présence de Dieu... Cette douleur m’a percé au vif. » Et il reprend encore la question qui le tourmente, la question capitale ; il la reprend sous la même forme expressive de l’aveugle en marche : doit-il renoncer à toute direction de lui-même ? « Ce que je souhaite le plus, c’est de savoir à quoi me tenir pour bannir les réflexions et pour me tenir à l’esprit de Dieu. Ferai-je comme l’aveugle qui tâtonne et qui marche sans hésiter, tant qu’il trouve un espace ouvert ? Ne sera-ce point une simplicité trop hardie ? Je la goûte, quoique la pratique doive en être rude à mon esprit circonspect. » Non. ce ne sera pas une simplicité trop hardie. Mme Guyon le rassure. « Vous êtes si fort à Dieu, et il a un soin si particulier de