Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/361

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Königsmark est profonde et désintéressée, elle l’absorbe tout entière.

Dans cette curieuse correspondance, les personnages de l’entourage sont désignés soit par des chiffres, soit par des surnoms qui ne manquent pas d’à-propos : l’altière duchesse Sophie est « la Romaine ; » la duchesse Éléonore, qui admonestait souvent sa fille : « la Pédagogue ; » Eléonore de Knescheck : « la Gouvernante, la Sentinelle, » ou « la Confidente ; » le duc de Celle : « le Grondeur, » le prince Georges-Louis : « le Réformateur, «  la princesse elle-même est « le cœur gauche » ou la « petite louche ; » une dame d’honneur replète : « la grosse dondon ; » les ministres du Hanovre : « le satyre » et « le barbouilleur. »

On a beaucoup discuté l’authenticité des lettres de Lund ; malgré sa chevaleresque compassion pour son infortunée héroïne, M. Wilkins y croit. Sa conviction est fondée sur la similitude qui existe entre les lettres de Lund et celles de Berlin, dont l’authenticité n’a jamais été mise en doute, similitude d’écriture, d’expressions, de papier, de style.

Cette correspondance est l’expression d’une passion grandissante, mais où la confiance mutuelle fait défaut. Königsmark commence par signer : « votre esclave, votre très obéissant valet, » puis il passe à des formules moins révérencieuses : « Emable Brune, j’embrasse vos genous. »

Malgré la pitié qu’inspire la tragique destinée de cet homme, frappé lâchement en pleine jeunesse, ses lettres ne le rendent pas sympathique, tant il s’y révèle emphatique, jaloux, égoïste, et insouciant de la sécurité de la malheureuse jeune femme qui, malgré son fatal entraînement, paraît par momens se rendre compte du péril qui la menace.

Non pas cependant qu’elle ait des troubles de conscience : les idées relâchées de son époque, les exemples qu’elle avait sous les yeux, l’atmosphère malsaine de la Cour de Hanovre avaient affaibli son sens moral et, chose étrange, la pensée de ses enfans ne semble pas l’avoir retenue. On aimerait à voir l’image de ces innocens se dresser entre leur mère et l’abîme vers lequel elle court ; le malheur réveillera bien un jour le sentiment maternel dans l’âme de Sophie-Dorothée, mais trop tard pour la sauver et, une fois réveillé, ce sentiment deviendra une souffrance de plus.

La seule influence qui s’employa pour retenir la princesse