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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/362

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dans le chemin du devoir fut celle de sa mère, « la Pédagogue. » Sans se douter que sa fille songeait à abandonner son foyer pour suivre le comte Philippe à l’étranger, la duchesse s’effrayait de son intimité avec le brillant Suédois.

L’année 1693 s’écoula au milieu d’alternatives de joie délirante et de terreurs folles : Sophie-Dorothée est plus éprise que jamais : « Je ne peux même entendre nommer votre nom sans un transport dont je ne suis pas maîtresse, » écrit-elle au mois de juin et, de plus en plus le séjour de Hanovre lui devient à charge, sauf quand le comte y rentre entre deux campagnes.

Déjà à cette époque, la popularité dont il jouissait jadis à la Cour de l’Électeur[1] commençait à décliner ; ses folles dépenses avaient entamé sa fortune et Ernest-Auguste, plein d’indulgence pour les riches étrangers qui venaient dépenser chez lui leur patrimoine, l’était moins pour ceux qui faisaient des dettes. De plus, la passion de Königsmark pour la princesse électorale faisait jaser : leurs entrevues et leurs correspondance, bien qu’enveloppées de mystère, étaient soupçonnées. Kônigsmark en fut prévenu : le maréchal de la Cour, Podevils, désigné dans les lettres sous le nom du « bon homme, » le prince Ernest, un des fils de l’Électeur, l’avaient averti qu’il était étroitement surveillé et que sa conduite pouvait avoir des « suites sérieuses. » De son côté, la duchesse Éléonore, très inquiète, cherchait à garder sa fille auprès d’elle le plus possible. Pendant un séjour à Celle, Sophie-Dorothée, jusque-là étrangère aux affaires, s’avisa d’étudier son contrat de mariage et, poursuivie par la pensée d’obtenir un divorce pour épouser Königsmark, elle découvrit avec désespoir que son contrat ne lui donnait pas la libre disposition de sa fortune. Elle en pleurait de colère et de chagrin quand survint sa mère, « tendre et bonne, » qui lui offrit de vendre ses bijoux pour lui assurer une somme dont elle serait la maîtresse, se doutant peu, la pauvre femme, à quel usage devait servir cet argent ! Le duc Georges-Guillaume, moins indulgent, exigeait son retour au foyer conjugal et Sophie-Dorothée, plus triste et plus révoltée que jamais, alla y reprendre sa place.

Elle y passa l’hiver de 1694, tout occupée de ses projets de

  1. La dignité d’Électeur, qu’il avait longtemps ambitionnée, fut conférée au duc Ernest-Auguste en novembre 1692.