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fuite ; Königsmark, malgré son audace, se rendait compte que sa position devenait intenable, quand, sur ces entrefaites, l’avènement au trône de Saxe de son ami le duc Frédéric-Auguste lui fournit un prétexte pour quitter Hanovre. Le nouveau souverain lui devait une somme considérable et, sa fortune étant largement ébréchée, il crut l’occasion favorable pour faire valoir ses droits de créancier. Frédéric-Auguste le reçut à merveille, se déclara dans l’impossibilité de le rembourser, et, en revanche, lui donna un poste important, auquel étaient attachés des émolumens considérables. Jusque-là, tout allait bien ; mais Königsmark, essentiellement jouisseur, se laissa griser par l’atmosphère de folle dissipation qui régnait à Dresde. Il continuait à écrire à la princesse électorale des lettres désespérées, qui cadrent mal avec son existence échevelée et, malheur plus grand, il se mit, après les repas copieux en honneur à la Cour saxonne, à raconter les histoires scandaleuses de Hanovre.

Ces propos inconsidérés, quand le bruit en parvint aux principaux intéressés, provoquèrent une explosion formidable. L’inoffensive Schulenberg elle-même en fut exaspérée et Georges-Louis, si taciturne d’ordinaire, entra brusquement chez sa femme, pour lui reprocher son intimité avec Königsmark, qui, disait-il, le rendait la fable du public. Sophie-Dorothée, prompte à la réplique, répondit que c’était, au contraire, lui et sa laide maîtresse qui prêtaient au ridicule ; elle ajouta que, pour elle, elle ne demandait qu’un divorce. Ces paroles piquantes mirent le prince dans une telle fureur qu’il faillit l’étrangler. Les cris de la malheureuse attirèrent ses gens ; Georges-Louis se retira en jurant et la princesse partit sur-le-champ pour Celle.

Elle y fut accueillie avec une tendre pitié par sa mère ; mais son père, poussé par Bernstorff et aussi par son propre désir de rester en bons termes avec le Hanovre, lui intima l’ordre de retourner auprès de ses beaux-parens, qui consentaient à la recevoir. Pour éviter un nouveau choc entre les époux, ils avaient envoyé leur fils à Berlin visiter sa sœur l’Électrice de Brandebourg[1].

Sophie-Dorothée fut profondément irritée contre son père, qui refusait de l’aider à rompre un lien odieux et quand, à la mi-juin, elle repartit pour Hanovre, son exaspération était arrivée

  1. Sophie-Charlotte, fille de l’Électeur Ernest-Auguste, épousa en 1684 l’Électeur de Brandebourg, qui devint le premier roi de Prusse.