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et de Port-Royal, en a entrevu la beauté, et la description qu’il nous en a laissée, dans sa Relation d’un voyage d’Alet, n’est pas, dans sa précision, dépourvue de sentiment. En amont de Limoux et de sa vallée étroite, tapissée de vignobles, la route de Carcassonne à Quillan, à peine tracée à cette époque, s’engage dans une gorge très resserrée, au fond de laquelle court la rivière d’Aude. Le défilé dans l’épaisse muraille a grand air, et l’on se sent déjà en pleine montagne. Il s’ouvre cependant vers le Midi, et l’on atteint, en suivant le torrent, une haute plaine en forme de cirque, au milieu de laquelle est bâti le village d’Alet. Les montagnes qui l’entourent de toutes parts sont élevées d’un millier de mètres, et, sans avoir encore l’âpreté particulière aux Corbières, — car les pentes en sont assez vertes, et les bords de l’Aude aux confins du village sont entourés de frais jardins, — elles ont déjà des sommets très nus. A les considérer du pont de pierre, qui conduit de la gare au village et qui fut construit pendant l’épiscopat de Pavillon, on se rend vite compte que l’on entre dans un pays rude. « Ce ne sont, comme dit Lancelot, que montagnes les unes sur les autres. » Celles du Sud-Est se déroulent par le massif de Bugarach jusqu’au Roussillon et au pays Catalan ; celles du Sud-Ouest se relient au massif du Saint-Barthélémy et aux Pyrénées ariégeoises. Creusant entre les deux chaînes son lit de torrent, l’Aude remonte par une suite de gigantesques défilés jusqu’aux neiges du Carlitte. On devine tout proche l’Aragon, âpre et sauvage, et ce voisinage, joint à la monotonie discrète et humble de la couleur grise épandue partout, est comme un fond fait exprès pour le sévère paysage, sur lequel se détache en relief la figure ascétique de Nicolas Pavillon.

Au XVIIe siècle, l’aspect était encore plus rude : peu ou point de routes, des sentiers dans la montagne. Tous ces recoins divers qui composaient le diocèse d’Alet, Razès, Donnézan, Capsir, pays de Fenouillèdes, Corbières de Sournia, pays de Sault, communiquaient très difficilement entre eux, et les routes, dont les automobiles gravissent maintenant les pentes dans les cantons de Limoux, de Couiza, de Quillan et d’Axat, et qui relient ces cantons aux villes du Bas-Languedoc, des Pyrénées-Orientales ou de l’Ariège, ont été, pour la plupart, ouvertes de nos jours. La région était à peu près inaccessible, et l’on n’y comptait que trois villages de quelque importance : Saint-Paul,