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valeur de ce qu’ils reçoivent. N’étant ni guidés ni surveillés, ils dépensent rapidement les espèces touchées et se trouvent, au bout de quelques mois, sans terres et sans argent. Payés en nature, avec des parcelles de terres qu’on leur cède en échange de celles qu’on leur prend, ils se plient plus ou moins mal aux changemens nécessaires d’exploitation ; les difficultés de la mise en valeur les rebute et ils sont à la merci d’une offre habile ou d’un coup de tête qui leur fait abandonner une propriété à laquelle il n’ont eu le temps ni le courage de s’attacher.

Non moins que la dépossession des 1 700 000 hectares de terres qui leur ont été enlevés, la privation du droit de jouissance des 3 300 000 hectares qui représentent la superficie des surfaces boisées et des terres du domaine en Algérie a diminué les moyens d’existence des indigènes. En effet, il faut se rappeler que les bois ne sont pas en Algérie inhabités comme les nôtres. Tandis que nos forêts du continent ne sont habitées que par les gardes-surveillans, la forêt algérienne est peuplée : on y vit, on y meurt, on y sème, on y laboure ; une population pauvre et sobre, mi-nomade et mi-pastorale, qui n’a pour toute richesse que ses troupeaux, y campe depuis des siècles. Le pâturage est pour l’habitant des forêts une des formes du droit de vivre. Or, notre Code forestier de 1827, que nous avons transporté en Algérie, n’a pu prévoir les conditions si particulières où ce pays se trouve placé, ni les besoins impérieux, ni les habitudes séculaires de ses habitans. L’habitation et le labourage en forêts, souvent indispensables à l’existence du troupeau, ont été considérés comme des délits. Des mesures presque draconiennes ont été prises. En cas d’incendie, si les coupables demeuraient inconnus, la forêt était fermée pour six années, même aux usagers ; des amendes collectives étaient frappées sur les tribus du territoire ; quand les incendies dénotaient un concert préalable, on les assimilait à des faits insurrectionnels et ils pouvaient entraîner l’application du séquestre sur les populations incriminées.

A la vérité, beaucoup de ces incendies sont dus à des causes fortuites, parfois à la négligence de certains colons ou concessionnaires européens. De 1891 à 1895 notamment, on n’a relevé que 15 pour 100 d’incendies pouvant être attribués à la malveillance. Mais les indigènes n’en étaient guère plus épargnés. Jules Ferry, le premier, dénonça ce régime sous lequel 90 000 procès-verbaux