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part, lui aussi, de son côté : il vient d’être nommé ambassadeur auprès d’une cour du Nord. Mme Salvière reprend son mari, et elle sera ambassadrice. Ainsi chacun suivra sa destinée. Yvonne sort définitivement du droit chemin et Salvière y rentre. L’ordre est rétabli.

Faut-il regarder ici d’un peu près ? Les divers personnages, que nous présente M. Capus, semblent médiocrement recommandables, et la sympathique Yvonne toute la première. A peine émue par l’incident qui a fait d’elle une fille-mère, elle le considère plutôt comme une circonstance heureuse et de nature à favoriser ses projets d’avenir. Accueillie, protégée, patronnée par Mme Salvière, elle ne trouve rien de mieux, pour lui prouver sa reconnaissance, que de lui prendre son bêta de mari. Ce n’est pas très joli. Je suis très tenté de croire, en outre, que, dans la réalité, l’aventure avait deux chances pour une de se terminer moins en douceur. Salvière pouvait s’entêter. Les messieurs mûrs, qui se croient aimés pour eux-mêmes, sont capables de grandes folies... Mais ce seraient de vaines querelles, et mieux vaut entrer dans le dessein de l’auteur.

On a souvent parlé de l’optimisme de M. Capus. N’allons pas, pour le plaisir de la contradiction, dénoncer son pessimisme ! Toutefois l’idée qui se dégage de sa pièce, si aimable et gaie qu’en soit la forme, est au fond assez morose. C’est qu’il ne faut pas demander à tous les êtres la même somme de vertu. Il est d’aimables filles qui auraient eu toutes les peines du monde à rester honnêtes et qui, dans la vie régulière, se seraient trouvées mal à l’aise et comme déplacées. Certes, le « séducteur » est sans excuse ; mais elles sont contre lui sans colère : elles ont l’obscure conscience que leur destinée s’accomplit. C’est la F...atalité, comme on dit dans l’opérette. Peut-être, en fulminant contre ces personnes complaisantes, Dumas fils avait-il naguère forcé la note et dérangé pour peu de chose les foudres du Sinaï. L’essentiel est qu’on ne propose pas la fille-mère à notre admiration et la femme entretenue à notre estime. Il arrive aussi que les meilleurs ménages soient troublés ; mais l’orage passe, le calme se rétablit. L’humanité n’est pas parfaite. L’important est que la société continue de vivre, et pour cela qu’elle conserve les abris qui ont été, de tout temps, une protection pour sa faiblesse. Cette morale indulgente n’est ni d’un apôtre, ni d’un réformateur, mais elle est assez bien d’un homme de théâtre. Fataliste ou résignée, sceptique ou apitoyée, c’est une sagesse de bon usage courant. Elle exprime l’état d’esprit du plus grand nombre des spectateurs. Et c’est encore une des causes du succès de M. Capus.